De nombreux ingénieur·es démissionnent suite à la perte de sens dans leur travail. Dans la presse, ce phénomène est traité sous l’angle du changement de carrière individuel. Et si, plus qu’à un nouveau métier, ces ingénieur·es aspiraient à la lutte collective ?
Paul Platzer
DÉMISSIONS EN CHAÎNE
Il y a deux semaines, Romain Boucher expliquait dans la presse les raisons de sa démission d’un poste de « data-scientist ». Il fait partie de celles et ceux qui quittent leur emploi d’ingénieur·e faute de pouvoir « changer les choses » de l’intérieur. Je relayais ici plusieurs témoignages de parcours similaires.
Le phénomène de la démission chez les cadres « en perte de sens » est largement médiatisé. Bien que l’envie d’être utile à la société soit souvent évoquée, ces départs sont majoritairement abordés sous l’angle de l’épanouissement personnel, de la reconversion, ou de l’opportunité professionnelle. Or, il se pourrait bien que ce qui motive ces désertions soit de nature collective et non individuelle : l’envie de transformer en profondeur une société dont le lot d’injustices, d’oppressions, et de destruction du vivant est devenu insupportable.
RECONVERSION : L’INDIVIDU RÉSILIENT LIBÉRAL
{}Face à la perte de sens au travail, le libéralisme dresse un diagnostic de l’individu. C’est la psychologisation des souffrances du monde de l’entreprise : l’employé fait-il un burn-out, un bore-out ou un brown-out ? Le remède est lui-aussi individuel : c’est aux femmes et hommes que l’entreprise broie de se réinventer (être entrepreneur de soi-même), de créer leur projet, à l’aide de coachs.
Être résilient, voilà ce qu’on exige de celles et ceux qui quittent l’entreprise. La reconversion (pure) permet ainsi au capitalisme de se perpétuer sans être dérangé par ces démissions : mieux vaut que les déviant·es s’auto-soignent pour trouver leur place dans la société telle qu’elle est, plutôt que de devenir dissident·es et de vouloir la changer. Ainsi, bien que mal perçue hier, la reconversion est aujourd’hui accompagnée et encensée.
DÉMISSION ET ANTI-CAPITALISME
Si tout·e ingénieur·e qui démissionne n’est pas nécessairement anti-capitaliste, le point commun des entretiens que j’ai conduit est l’incompatibilité des ambitions écologiques et sociales des démissionnaires avec le Marché. Toute initiative qui ne permet pas à l’entreprise de générer du profit est abandonnée, indépendamment de son intérêt pour l’humanité et/ou la biosphère. La croissance infinie, inhérente au…
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Auteur: lundimatin