John Coplans, carnaval de la chair

« Reclining Back, Three Panels, Left », 1990

© The John Coplans Trust

Le 24 décembre, à l’heure où les foules se pressaient dans les grands magasins, que pouvait-on faire de mieux que profiter de la désertion des musées pour aller voir les photos de John Coplans (1920-2003) à la Fondation Cartier-Bresson ? Ce jour-là, flâner seul entre ses images et se perdre dans les mille et un fragments de son corps avait quelque chose de magique, pour ne pas dire merveilleux. Car loin d’être un mausolée, l’exposition célèbre au contraire la vitalité du projet de Coplans et fait l’effet d’une formidable cure de jouvence. Drôle de paradoxe, tout de même, venant d’un artiste qui aura embrassé une carrière de photographe à l’âge de soixante ans, après avoir été commissaire d’expositions, cofondateur de la revue Artforum et directeur de musées américains. Mais alors, quel sens donner à cette reconversion tardive ? Fausse retraite ? Seconde vie ? Ou récréation de dernière minute, à l’heure où les enjeux semblent moindres ? Sans doute un peu des trois. « La vieillesse est une des meilleures choses qui me sont arrivées », disait en tout cas Coplans. « Pour la première fois, je suis libre ».

Cette liberté, cette conquête de l’espace et du temps, il l’aura acquise grâce à un sacré tour de force. Non plus en s’aventurant dans le vaste monde (anglais émigré aux États-Unis, il avait déjà beaucoup voyagé) mais en revenant à l’infiniment petit que nous sommes et en errant à la surface de son propre corps. Ainsi, de 1984 à sa mort, Coplans s’amuse à photographier des parties de lui-même (mains, pieds, jambes, dos), à l’exception de son visage qui demeure invariablement absent. Avec l’aide d’assistants, il s’éclaire, pose, explore l’invisible de sa chair, part à la recherche des mondes qu’elle contient et révèle sa beauté géologique digne de paysages lunaires, volcaniques. En traquant les détails les plus infimes et en les exhibant dans des tirages plus grands que nature, Coplans change les proportions et fait vaciller les repères. Par exemple, dans l’imposant Reclining Back, Three Panels, Left (1990), son dos devient un massif escarpé, une lande de terre rongée par une forêt de poils, tandis que le pli de ses fesses dessine une mystérieuse anfractuosité — peut-être le début d’une grotte. Double Feet, Five Panels (1988) montre, lui, sur deux mètres cinquante de long, le profil de ses pieds dont l’épiderme est corné,…

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Auteur: Thibaud Croisy