Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à dire

© Emmanuel Gras / Les Films Velvet

Se saisir d’un thème politique ne suffit pas à faire un film politique. Emmanuel Gras y parvient avec Un peuple, en salles ce 22 février. Son sujet : un rond-point de « gilets jaunes » à Chartres, entre novembre 2018 et son délitement six mois plus tard. Il y retrace la formation fulgurante et inattendue d’une petite Commune, expérience lente et heurtée, travail d’organisation oblige, finalement condamnée par la réaction de ce qu’on pourrait regrouper sous le terme « Centre » : à la fois pouvoir et centre-ville, et la concentration de l’attention sur une capitale de plus en plus verrouillée par la police. Si la mise en scène embarquée d’Emmanuel Gras, dont on entend parfois les questions hors-champ, prend un tour politique encore plus abouti que dans les films qui l’ont précédé sur ce mouvement, c’est que son ambition populiste, au bon sens du terme, s’y manifeste hors de tout surplomb pourtant souvent quasi-intrinsèque au projet — journalistique, politique ou même cinématographique. Seule envolée tolérée, un plan de drone resitue dans les premières minutes le rond-point dans son environnement urbanistique, hostile, dédié à l’automobile donc à l’essence, donc au coût du carburant — comme souvent déclencheur de la révolte. « Toi tu manifestes pour quelques dizaines de centimes de gasoil en plus », chantait le routier Kopp Johnson aux débuts du mouvement.

Négligeant ce qui se joue à deux pas, des hommes courent seuls sur des tapis roulants dans une salle de sport franchisée. Juste à côté sur le rond-point on s’assemble, on se parle et on se heurte aux mêmes obstacles que mille collectifs en gestation avant celui-ci, de l’ivresse des amitiés nouvelles aux déchirements internes. Si Gras parvient à faire davantage que documenter l’évènement, c’est qu’il ne cède pas aux facilités des portraits juxtaposés : les témoignages choisis sont au service de la coordination de ces gens qui agissent et non une simple galerie de personnages hauts en couleur. Sur leur rond-point, les « gilets jaunes » n’arrivent pas seulement avec leur petite histoire personnelle. Ils ne tournent pas en boucle comme les chaînes d’info obsédées par les « dérapages », ils ne piétinent pas comme les CRS autour de l’Arc de triomphe lors d’un épisode qui marque le début de la fin — puissance de la boucle déterminante, courage de la manifestation – violence saisissante de la…

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Auteur: Thibault Henneton