Justesse pour le peuple arménien

« Les empreintes rendent sensible ce qui tient tête ». Ainsi s’achève l’un des trente courts chapitres du singulier et fascinant ouvrage d’Anouche Kunth : Au bord de l’effacement. Sur les pas d’exilés arméniens dans l’entre-deux-guerres, qui parait cette semaine aux Éditions La Découverte, alors que l’histoire sans fin de l’effacement des Arméniens connaît de nouveaux épisodes plus que préoccupants. À partir de quelques cartons contenant des certificats administratifs, recueillant des « données » basiques comme le nom, la date de naissance, l’adresse, le pays d’origine ou la profession et de sommaires et lacunaires « informations annexes », ainsi que des photographies, l’autrice nous fait partager, de manière pour ainsi dire intime, tous les mouvements de sa pensée – aussi bien son travail d’historienne que l’empreinte affective, précisément, que ladite archive produit sur sa subjectivité. Singulier, le livre n’en est pas moins exemplaire, sur la manière dont une archive qui pourrait paraitre pauvre – et l’est pour de bon, à maints égards – peut receler tout de même, dès qu’on prend le temps de s’y confronter, de s’en imprégner, de se laisser hanter par elle, quantité de traces, d’indices, d’ « empreintes » sur la destinée des « infâmes » parmi les « infâmes », ceux qu’en Turquie l’on appela – et l’on appelle toujours – les « restes de l’épée » : les Arméniens rescapés du génocide de 1915 ou des pogroms qui l’ont précédé et suivi, et débarqués à Marseille au début du siècle dernier. C’est autant un style d’écriture qu’un style de pensée et de travail sur l’archive qui rend ce livre si fort : une écriture simple et fluide mais d’une implacable précision, qui conjugue la rigueur et la beauté de l’écriture historienne, archéologique, épistémologique, sociologique, psychanalytique, littéraire. Une écriture qui…

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Auteur: Pierre Tevanian