Kate Millet, la femme qui refusait toutes les cages

Que ce soit dans Lumières d’exil, qui raconte Germaine Krull (1897-1987), photographe révolutionnaire, ou dans Sylvia Pankhurst, sur la peintre révolutionnaire (1882-1960) critiquée par Lénine pour son gauchisme, elle fait sentir sans cesse le lien intime qu’elle noue avec sa personnage tout en recourant au stratagème qui est à la base de tout l’art du roman : se mettre à la place de l’autre. Avec son Kate Millet, pour une révolution queer et pacifiste(Libertalia), elle porte cet art-là à des intensités qui brouillent définitivement les frontières : si c’est bien une « biographie romancée », la part de roman (et même de romance) que comporte cette narration ultradocumentée ne fait qu’y apporter un surcroit de vérité. Les documents, comme l’atteste la bibliographie finale, ce sont des interviewes, des ouvrages nombreux, mais aussi principalement les livres de Kate Millet elle-même, qu’elle évoque sans pouvoir les citer car, comme Dumas nous l’apprend au détour d’un paragraphe : « citer abondamment une autrice américaine dont les livres ne sont pas encore dans le domaine public, comme je l’avais fait dans un premier jet, coûte un paquet de dollars ». Mais ainsi qu’on pourra le vérifier à la lecture, cette contrainte est créatrice.

En nous racontant la vie et l’oeuvre de Kate Millet, romancière, essayiste, cinéaste, plasticienne et l’une des mères fondatrices de la deuxième vague féministe mondiale, Dumas nous la rend si profondément proche qu’on a le sentiment d’avoir affaire à une camarade. De la vie de cette rejetone d’une bourgeoisie américaine confite en conformisme, on ressent le déchirement qui l’accompagnera jusqu’à la fin, entre son attachement à une famille cultivée et aimante, et l’insurmontable esprit patriarcal – en l’occurrence principalement porté par des femmes qui rejettent ce ludion lubrique « lesbienne, sculptrice inconnue, virée de la fac, autrice de livres pleins de scènes de cul, et dingue » au point de réussir à la faire interner plusieurs fois, et jusqu’en Irlande où elle était allée porter sa solidarité aux femmes de la prison d’Armagh. Car si Millet nous est si proche, c’est aussi par son refus de se cantonner à un seul combat, et son rejet de toute forme d’assignation, y compris celle que voudraient lui imposer certaines sœurs féministes, à elle qui aime les femmes mais vivra une grande partie de sa vie avec un homme, un artiste japonais bien-aimé. Il n’est sans doute pas indifférent que les deux fois où…

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Auteur: lundimatin