Krach symbolique

Ferdinand Hodler. — « Le lac de Genève et les Alpes savoyardes », 1907.

Un pilier de l’ordre symbolique tombe et c’est un grand fracas. Le mot interdit, ou plutôt le mot réservé — réservé à « eux », les « autres », le Hongrois, le Turc, le Russe – vient d’être dit en France, à propos de la France : illibéralisme.

Catégorie inepte, créée par des journalistes à l’usage des journalistes, « illibéralisme » sert de boussole intellectuelle à tout l’éditorialisme français depuis des années. On voit aisément pourquoi : même à 7/20 comme pour le recrutement dans la police, « illibéralisme », on arrive à comprendre. Nous, LaDémocratie : bien. Eux : pas bien. On notera la symétrie imparfaite et l’absence de terme intermédiaire, équivalent de LaDémocratie. C’est ce trou que devait remplir le signifiant flottant « illibéralisme » : on y mettait ce qu’on voulait, l’essentiel étant de produire de la différence — avec « nous ».

Lire aussi Benoît Bréville, « Un peuple debout, un pouvoir obstiné », Le Monde diplomatique, avril 2023.

« Illibéralisme » aura été une magnifique trouvaille pour le néolibéralisme, une espèce d’assurance symbolique multirisques, permettant d’approfondir la brutalisation capitaliste en temps de crise organique, mais adossé à Nous-LaDémocratie-Bien. « Illibéralisme » était le complément nécessaire de la postulation fondamentale du néolibéralisme autoritaire : chez nous, c’est LaDémocratie. Il fallait bien des « illibéraux » pour attester que nous étions « libéraux ». Le postulat une fois posé, en tout cas, il s’en suivait logiquement que tout ce qui se passait « chez nous » était démocratique.

De la résistance des matériaux symboliques

Malheureusement, comme en génie civil, il vaut mieux ne pas ignorer les contraintes de la résistance des matériaux…

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Auteur: Frédéric Lordon