L'« Effondrement de la modernisation » ‒ 30 ans après

Lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, tu faisais déjà partie depuis des années d’un groupe travaillant sur une théorie critique radicale. Peu après, ton livre L’Effondrement de la modernisation est paru. Dans quel contexte social avez-vous fondé la critique de la valeur du système moderne marchand ?Dès le départ nous avons refusé de nous inscrire dans une démarche académique. Nous étions tous des militants de mouvements sociaux de gauche. Au début des années 1980, nous avions le sentiment que les idées de la « nouvelle gauche » de l’époque avaient été épuisées depuis 1968. Il y avait un élan pour réévaluer de manière critique notre propre histoire. Nous ne voulions plus participer au « cycle maniaco-dépressif » des campagnes politiques. La théorie ne devait plus être liée à la pratique politique dans une sorte d’immédiateté, c’est-à-dire qu’elle devait perdre son caractère de fonction de légitimation et être prise au sérieux dans son autonomie. Cela signifiait le fait de prendre de la distance avec la gauche politique.

Malgré toutes ses critiques à l’égard du stalinisme, la « nouvelle gauche » a largement échoué à remettre en question le caractère socialiste et post-capitaliste de l’Union soviétique. Les quelques rares théoriciens qui parlaient plutôt de « capitalisme d’État » étaient pour la plupart orientés vers le maoïsme chinois et ne dépassaient pas une théorie sociologiquement tronquée du « pouvoir de la bureaucratie ». Une étude théorique plus approfondie a toutefois révélé que le véritable problème du socialisme dit réel était tout à fait différent. Les ordres sociaux qui avaient émergés à partir de la révolution russe et du mouvement de libération anticolonial restaient des « modes de production basés sur la valeur » (Marx). La forme sociale du système moderne marchand n’a pas pu être surmontée. Toutes les catégories du capital étaient maintenues ; elles devaient simplement être gérées et contrôlées sous une forme nationale par la politique de l’État. Tout comme en Occident, les humains étaient soumis au système du « travail abstrait » (Marx). Ce n’était pas une transformation qui dépasserait le capitalisme, mais exactement le contraire, une transformation dirigée vers une affirmation de celui-ci. Cela correspondait à la situation historique réelle de l’Est et du Sud. Ces sociétés n’avaient pas atteint les limites du développement capitaliste, mais étaient à la traîne de ce…

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Auteur: lundimatin