La bataille de Soledar : leçons militaires… et communicationnelles

Après plusieurs mois de combats, la compagnie militaire privée Wagner a annoncé le 10 janvier avoir pris la ville de Soledar, dans le Donbass (Est de l’Ukraine), annonce reprise progressivement par la suite par les canaux officiels russes. Kiev a admis avoir perdu la ville deux semaines plus tard. Tout au long de ces affrontements extrêmement violents, les deux parties belligérantes se sont livrées à une lutte presque aussi intense sur le terrain de l’information que sur le théâtre des opérations.

Analyse de cette double dimension d’une bataille dont l’impact aura peut-être été aussi important en termes de communication qu’en termes militaires.

Un besoin de médiatisation ?

Depuis cet été, les avancées ukrainiennes au détriment des forces de Moscou ont permis au général Zaloujny, le chef d’état-major de l’Ukraine, d’annoncer, début janvier 2023, la reprise de 40 % du territoire gagné par la Russie depuis février 2022 et de 28 % de celui occupé depuis 2014. Dans le même temps, le ministère russe de la Défense a dû communiquer sur les bombardements ukrainiens sur la base provisoire de Makiivka survenus dans la nuit du Nouvel An, qui ont causé de lourdes de pertes à l’armée de Moscou – un désastre comparable, pour le Kremlin, à la symbolique et marquante perte du croiseur Moskva, coulé en avril 2022.



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Dans ce contexte pesant pour elle, la Russie devait impérativement obtenir une victoire qui puisse être médiatisée. Ce besoin avait des origines multiples : nécessaire pour remonter le moral notoirement bas des troupes, il devait aussi permettre de redorer l’image du haut commandement, largement mise à mal par les manquements logistiques mais aussi sécuritaires constatés au cours de ces derniers mois. L’attaque de Makiivka, dont Moscou avait tenté de faire porter la responsabilité notamment aux autorités de l’autoproclamée République populaire de Donetsk (DNR), illustre cette dégradation d’image.

En outre, au moment où des bruits courent autour du lancement d’une seconde vague de mobilisation (alors même que près de la moitié des recrues de la première vague, encore en cours de formation, n’ont pas encore été déployées sur le terrain), l’annonce d’une grande victoire représenterait un atout non négligeable pour rendre plus convaincants les spots télévisés qui présentent la carrière militaire comme une possibilité offerte aux futurs engagés d’améliorer leur situation financière et sociale.

Annonces contradictoires

Le 10 janvier, alors que la ville de près de 11 000 habitants était encore sous les feux russe et ukrainien, le groupe Wagner, par la voix de son dirigeant Evguéni Prigojine, affirmait en avoir pris le contrôle. Cette annonce a été confirmée quelques jours plus tard par le ministère russe de la Défense. Dans le même temps, les forces ukrainiennes annonçaient que les combats se poursuivaient. Cette communication russe rappelle celle, un peu hâtive, sur la chute de Marioupol en mai dernier, proclamée alors que des centaines de soldats ukrainiens, étaient retranchés dans l’usine Azovstal continuaient de s’y battre.

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Annoncer cette prise de guerre permet à la Russie de montrer qu’elle a renversé la tendance après plusieurs mois de revers. Symétriquement, pour les Ukrainiens, souligner son caractère prématuré vise à en limiter l’effet positif sur le moral des troupes russes et à jeter le doute sur l’honnêteté des porteurs de l’annonce.

La prise de Soledar : une victoire aussi stratégique ?

En termes militaires, l’intérêt semble dépasser la ville elle-même. En effet, la finalité première des Russes est d’affaiblir la ville voisine de Bakhmout, elle aussi théâtre de très violents combats, si bien qu’elle est surnommée « le hachoir à viande ». Si elle chutait, la ligne de défense ukrainienne entre Siversk (40 km plus au nord) et Bakhmout serait nettement affaiblie.

En ce sens, il semble que les axes routiers qui servent à approvisionner Bakhmout constituent des points d’intérêt majeurs pour les Russes, notamment les axes de la M03 au nord de la…

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Auteur: Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School