Après Forever Décaméron, Lionel Ruffel revient vers nous avec un excellent conte satirique sur, dit-il, « l’édition contemporaine et le marché du livre qui pose la question de la surproduction et de la démocratisation ». Et il ajoute : « j’ai vraiment eu l’impression de l’écrire pour lundimatin, donc je vous le propose en espérant que vous l’apprécierez. » On l’apprécie énormément.
Peut-être que tout à l’heure, ou demain ou bientôt quoi qu’il arrive, vous lirez un livre. Pour que vous soyez en mesure de le faire, toute une petite usine s’est mise en branle, une usine qui produit des matières, des flux, des stocks, des croyances, une usine faite de réseaux, d’actrices et d’acteurs et de contrats.
Cette usine a quelque chose en plus, comme beaucoup d’usines : une cape d’invisibilité. À peine commence-t-elle à se mettre en branle qu’elle s’en drape et nous ne la voyons pas. Les plus radicales de ces capes, il n’y a aucune fierté à en tirer, elles sont certainement françaises, elles sont blanches, elles sont pures, comme nos couvertures de livres. On dit qu’elles sont blanches, comme la célèbre collection de Gallimard alors qu’elle n’est même pas blanche mais crème. Elle nous dit quelque chose de plus que la blancheur, elle nous dit qu’elle est pure, ce qui n’est pas sans poser de problèmes puisque cette association blancheur/pureté date du plus fort du colonialisme français. Et du reste même les couvertures qui ne sont pas blanches, par exemple quand elles sont bleues, témoignent de la même idée de pureté. Toutes les couvertures unies, qu’elles soient blanches, jaunes, bleues ou autre, sont en fait blanches, en France, en Allemagne (Suhrkamp), et même aujourd’hui au Royaume-Uni (Fitzcarraldo). Ce sont plutôt des capes d’invisibilité et des habits d’intensité, un peu comme un white cube. Elles nous disent : ici a eu lieu une transsubstantiation, des êtres…
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Auteur: dev