La comédie et le monde fatigué

1.

« C’est le rire de Marinette dans Le Dépit amoureux, de Nicole et de Covielle dans Le Bourgeois Gentilhomme, de Zerbinette dans Les Fourberies de Scapin. Où trouve-t-on ce rire-là chez Aristote, Hobbes, Baudelaire, Bergson, chez tous les théoriciens du rire malheureux  ? » Certes la comédie commence sur fond de situation malheureuse . Mais aussitôt surgit un rusé – le plus souvent un être de basse extraction, un valet (ein Knecht) – qui, en jobardant, en mystifiant, s’emploie à remettre le monde sur ses gonds. Alors la comédie se fait « artifice, […] astuce pour l’emporter sur un monde corrompu, désaccordé  ». Arrive Mascarille, Sganarelle ou Scapin… Et chez Hebel, de même, s’avancera un valet, un domestique . Il s’agit d’ « affronter » l’ordre injuste des choses, l’ordre des maîtres . « On comprend que la comédie […] est finalement l’intuition qu’il y a autre chose que le malheur, qui n’épuise pas les ressources du réel ». À condition, devant l’adversaire, de savoir lui « jouer pièce », « lui chanter sa gamme » – c’est-à-dire de savoir « faire supercherie » ; à condition de stratagèmes et d’inventions, d’efforts joyeux ; à condition de comédie – le malheur est évitable. La comédie, la farce, n’est rien moins, à ce niveau d’exigence (celui de Molière, celui de Hebel) qu’une « tentative de salut  ». En langue allemande, le « genre littéraire » du « schwank », dont relèvent, pour partie, les historiettes de Hebel, et que l’on traduit en français avec le mot de « farce », avait commencé par désigner le tour (voire le coup), avant de désigner le récit de ce tour (le récit de ce coup) : « Schwank (m. 1u) derb-komische Erzählung, derb-komisches Bühnenstück [mhd. < swanc “Schlag, Hieb ; lustiger Streich ; Erzählung davon”]  ». La farce est « invention », ruse qui doit être « sur le champ bâtie  ». Et l’invention est le plus souvent textuelle, c’est l’invention d’un récit : voir tous ceux admirables de Scapin ; de Sganarelle ; de Mascarille. C’est chez Hebel l’invention du « hussard rusé », qui brode une histoire de croyance en un saint pour y envelopper le riche paysan (qu’il veut dépouiller), comme en une toile (textum). Une fois bien emmitonné dans le récit, le paysan n’agit plus que selon sa croyance en ce texte ; et le hussard le mène alors où il veut le mener : au pied du saint, pour un partage entre frères – c’est-à-dire pour un vol…

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Auteur: lundimatin