La couleur des mots

« Invité à Harvard, Mohamed Ali prônait aux jeunes issus du ghetto la chance qu’ils avaient de mener des études, quand une voix fusant dans le public interrompit brutalement l’idole : ‘‘Fais-nous un poème !’’
Il y eut dix secondes de silence, puis l’immense Ali, luisant de gloire et de grâce, dit :
‘‘Me,We.’’ »Noire est la beauté

Pour les voyelles, on le sait ; mais pour les mots, qui dira leurs couleurs latentes ? Se poser la question, à l’heure où VERITAS désigne une carte bancaire et LIBERTÉ un dessert à la crème, cela a-t-il encore un sens ?

Le Ravage est en cours. S’il peut s’en prendre au monde et à tous ceux qui l’habitent aussi impunément, c’est parce qu’il s’est préalablement lancé à l’abordage de la Parole sur quoi il continue de diriger ses plus sournois assauts. Pour s’en apercevoir, il suffit de temps en temps de prendre en considération telle des morbides ondulations qui agitent la planète Spectacle.

Je faisais des recherches sur les rapport ambivalents de Spinoza à l’hébreu biblique, en préparation de mon séminaire bimensuel La Gestion Génocidaire du Globe, lorsque je suis tombé sur la tribune d’André Markowicz intitulée : « Personne n’a le droit de me dire ce que j’ai le droit de traduire ou pas. », parue dans Le Monde du 12 mars, à la suite du scandale suscité par l’activiste hollandaise Janice Deul concernant la traduction du poème présidentiel d’Amanda Gorman.

Il me sembla aussitôt évident qu’il y avait un lien à tisser contradictoirement entre le cas de Spinoza et celui d’Amanda Gorman – plus exactement celui de son « affaire », laquelle se résume au choix de la personne adéquate pour traduire son poème dans une autre langue.

Cela m’amena à réfléchir à ce que signifie l’appartenance à une minorité séculairement malmenée : les Juifs pour Spinoza, les Noirs américains pour Amanda Gorman, et à tâcher de comprendre pour quelles troubles et complexes raisons Spinoza, principalement dans les pages les plus âpres de son Traité des autorités Théologique et Politique, manqua tant de solidarité vis-à-vis de ses coreligionnaires – au point que Hermann Cohen parlait de « trahison humainement incompréhensible ».

Enfin l’affaire Amanda Gorman m’intéresse en ce qu’il est aussi question chez Spinoza de traduction adéquate en rapport avec l’appartenance, le philosophe regrettant dans le Tractatus que la Bible n’eût pas été rédigée par un autre peuple que les Juifs, dans une…

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Auteur: lundimatin