La découverte de l’insuline : une histoire d’egos monstrueux et de rivalités toxiques

Lorsque la sonnerie de son téléphone se fit entendre, en ce matin d’octobre 1923, le médecin et scientifique canadien Frederick Banting ignorait encore qu’il était sur le point de recevoir l’appel dont rêve certainement tout scientifique. À l’autre bout du fil, l’un de ses amis lui demanda d’un ton enthousiaste s’il avait lu les journaux du matin. Tandis que Banting répondait par la négative, ledit ami lui annonça qu’il venait de recevoir le prix Nobel pour sa découverte de l’insuline. En réponse, Banting l’envoya au diable et raccrocha violemment le combiné. Puis il sorti acheter le journal du matin.

Il avait effectivement bel et bien reçu le prix Nobel, mais celui-ci avait également été décerné à son patron, John Macleod, professeur de physiologie à l’Université de Toronto. Et c’était bien là le problème.

Ego monstrueux, rivalités professionnelles toxiques et injustices sont les ingrédients de la découverte de l’insuline. Avec, au centre de ce drame, un autre personnage, et pas des moindres : le diabète.

« Le mal qui pisse »

Selon un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé, les injections d’insuline maintiennent actuellement en vie environ 9 millions de personnes atteintes de diabète de type 1. Je fais moi-même partie de ces patients. C’est précisément le choc ressenti lors de mon propre diagnostic, établi voici un peu plus de dix ans, qui m’a amené à enquêter sur la découverte de ce médicament, que j’allais devoir m’injecter plusieurs fois par jour durant le reste de mon existence.

Frederick Banting en couverture du magazine TIME le 27 août 1923.

Frederick Banting en couverture du magazine TIME le 27 août 1923.
Pictorial Press Ltd / Alamy Stock Photo

Étymologiquement, le terme diabète provient d’un mot du grec ancien signifiant « couler ». Il s’agit là d’une référence à l’un de ses symptômes les plus courants, les fréquentes visites aux toilettes des malades. Celles-ci ont d’ailleurs amené le médecin anglais du XVIIe siècle Thomas Willis (1625-1675) à forger une expression ô combien plus mémorable pour qualifier cette affection : le « mal qui pisse ». Cependant, dans les faits, ces pauses-pipi trop fréquentes n’ont longtemps été que le cadet des soucis des malades.

En effet, avant la découverte de l’insuline, tout diagnostic de diabète de type 1 s’accompagnait d’un pronostic de mort certaine. Incapables de métaboliser les sucres de leur alimentation, les malades s’affaiblissaient et s’émaciaient, avant de tomber dans le coma (en raison de la production de composés toxiques appelés cétones), puis de mourir. Jusqu’au début du XXe siècle, la prise en charge des patients consistait principalement à retarder l’inévitable en les soumettant à des régimes drastiques au nom évocateur de « régime de famine »).

Photo d’Elliott P. Joslin, médecin de Boston spécialiste du diabète.

Photo d’Elliott P. Joslin, médecin de Boston spécialiste du diabète.
Insulin Collection, University of Toronto.

On imagine sans peine la stupeur des médecins lorsqu’au début des années 1920, on découvrit une hormone capable de ramener les taux de sucre trop élevés des patients diabétiques à des niveaux sains. Une hormone qui pouvait même les sortir du coma. Étant donné que cette substance était produite au sein du pancréas par de petites plaques de tissus ressemblant à des îlots, elle reçut le nom d’« insuline », (du mot latin insula, « île »).

Lorsqu’en 1922 l’éminent diabétologue américain Elliott Joslin utilisa pour la première fois l’insuline afin de traiter ses patients, il fut tellement stupéfait par son efficacité qu’il la compara à la « vision d’Ezéchiel », le prophète de l’Ancien Testament qui aurait vu une vallée d’ossements desséchés se lever, être revêtue de chair et revenir à la vie. Le collègue de Joslin, Walter Campbell, fut également impressionné, bien qu’il exprimât son étonnement de manière beaucoup moins poétique : il décrivit les extraits pancréatiques bruts comme « une épaisse boue brune ».

Si cette boue brune était capable de sauver des vies, il apparût vite évident qu’elle pouvait tout aussi facilement en prendre. Injectée à la mauvaise dose, elle faisait en effet chuter le taux de sucre dans le sang du patient, le plongeant…

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Auteur: Kersten Hall, Author and Honorary Fellow, School of Philosophy, Religion and History of Science, University of Leeds