La démocratie tunisienne est agonisante mais elle peut être sauvée

L’une des leçons du XXIe siècle est que les vainqueurs des élections peuvent progressivement tuer les démocraties. Les démocraties saines disposent de garde-fou et de contrepoids institutionnels qui agissent comme une contrainte sur les gouvernements élus. Les institutions clés sont le parlement et les systèmes judiciaires indépendants.

Mais lorsque le pouvoir se concentre progressivement dans l’exécutif, il perturbe cet équilibre précaire. Les autocrates ont de plus en plus tendance à utiliser les règles – les formalités constitutionnelles – pour dissimuler leur accaparement du pouvoir. En assumant le pouvoir au nom de la “constitution”, ils donnent l’impression d’agir dans l’intérêt des citoyens. Cela rend plus difficile la contestation de l’autocrate. J’ai utilisé l’expression “populisme autoritaire constitutionnel” pour décrire ces régimes.

Le Venezuela peut être considéré comme un exemple de la manière dont une présidence peut concentrer le pouvoir. On en est arrivé là par des décrets d’urgence, de processus de modification de la Constitution et de décisions des cours constitutionnelles. Toutes ces mesures ont été accompagnées d’une rhétorique populiste.

La Tunisie est l’exemple le plus récent de cette tendance. La révolution de 2011 a ouvert la voie à une transition démocratique en Tunisie. Une nouvelle Constitution en 2014 a ensuite institué un système d’quilibre des pouvoirs, avec des compromis de partage du pouvoir entre le législatif et l’exécutif. La Tunisie a été considérée comme un exemple remarquable de transition démocratique au lendemain du Printemps arabe, qui a évité le sort de l’Égypte.

Ce n’était pas une solution instantanée aux problèmes du pays. La méfiance de la population à l’égard du gouvernement persistait. Lorsque le président Kais Saied a été élu en 2019, c’était sur la promesse de restaurer cette confiance et d’accroître la redevabilité. Mais l’ancien professeur de droit constitutionnel a continué à démanteler le système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs.

Le 24 juillet 2021, Saied a limogé le Premier ministre et suspendu le parlement pour 30 jours (bloquant l’accès au bâtiment du parlement avec des chars). Sur la base de décrets, il a également assumé la fonction législative. Dans un contexte d’agitation sociale, Saied a déclaré que ces mesures seraient maintenues

jusqu’à ce que la paix sociale revienne en Tunisie et que nous sauvions l’État.

Le recul démocratique de la Tunisie montre pourquoi il est nécessaire d’adopter une perspective de droits de l’homme pour interpréter les décisions constitutionnelles. Et c’est ce qu’a fait la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a jugé, le 22 septembre 2022, que les décisions adoptées par le Saied violaient les droits de l’homme. La Cour a ordonné l’abrogation des décrets présidentiels afin de rétablir la suprématie de la Constitution.

Une approche fondée sur les droits de l’homme est le meilleur antidote au populisme autoritaire constitutionnel. Parce que les autocrates manipulent la loi pour justifier des mesures autoritaires, il est nécessaire de revenir à la tradition juridique classique et de rappeler qu’une loi injuste ne peut être considérée comme contraignante.

Prétexte constitutionnel

Le président Saied a invoqué la Constitution pour adopter des mesures autoritaires en s’appuyant sur les pouvoirs extraordinaires dont est investie la présidence par la Constitution de 2014.

Les pouvoirs exceptionnels dont jouit le président sont destinés à être utilisés pour protéger la Constitution dans des circonstances extraordinaires. Ils n’ont pas été conçus pour démanteler l’ordre constitutionnel – comme Saied l’a fait lorsqu’il a démis le Premier ministre et suspendu le parlement. En réalité, ses pouvoirs extraordinaires on aboli la constitution de 2014 et lui ont permis de concentrer le pouvoir au niveau de la présidence.

Mais ces mesures autoritaires ont été justifiées comme un moyen de protéger le peuple contre l’inefficacité présumée du Premier ministre. Saied a rédigé une nouvelle Constitution et a essayé de la faire passer pour une décision populaire en organisant un référendum le 25 juillet 2022.

À mon avis, le référendum a été truqué. Il a été organisé en violation des principes élémentaires en matière d’intégrité électorale. Celles-ci incluent…

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Auteur: José Ignacio Hernández G., Fellow, Harvard Kennedy School, Harvard Kennedy School