La dévastation du monde, une blessure intime

Belinda Cannone est romancière et essayiste. Ses livres nous parlent désir de vivre et émerveillement. Le dernier paru, Le Livre du crépuscule, évoque la noblesse d’un homme simple (éditions du Vistemboir, 2021).




Récemment, il a fallu inventer un nouveau vocable pour dire une forme de souffrance liée à l’environnement : la solastalgie. Quand on crée un mot, c’est qu’on aperçoit soudain une réalité nouvelle pour laquelle on ne disposait d’aucun terme permettant de la synthétiser — mot manquant. Ainsi de la blessure que cause en nous la dégradation du monde vivant, phénomène qui n’est pas neuf mais dont on vient de prendre une conscience générale et aiguë.

Le mot pour la désigner est un néologisme, inventé en 2003 par le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht. Il est mal fichu, construit à partir d’une double racine : latine, solari / sōlācium (consolation, réconfort), et grecque, -algia, qui évoque la douleur physique ou morale. Bien sûr, on y entend nostalgie. Pourtant, ce n’est pas exactement ce dont il s’agit avec cette blessure, au sens où elle ne nous incite pas à regretter le passé pour le passé, mais au contraire à nous inquiéter pour le futur : on ne regrette pas que notre habitat, notre environnement, les lieux que l’on aime changent, mais qu’ils se détériorent. Ce qui est différent.

Depuis plus de trente ans, je passe une partie de l’année dans le Cotentin et j’ai pu y observer en détail la progression des dommages. Ce qui se perd et se corrompt parmi ces paysages, ces oiseaux et ces rivières donne, mieux que tous les chiffres, une idée du processus en cours.

La solitude du « frottou »

Pendant longtemps j’ai habité une « maison des champs », entourée de pâturages. Face à la maison, de l’autre côté de la route, dans un grand champ appelé « le Paradis », trône, isolé, un vieux chêne au houppier magnifique que j’appelle « mon chêne », bien qu’il ne m’appartienne pas autrement que par la vue que j’en ai de mon bureau. Dans la région, on appelle de tels arbres des « frottous », car les vaches venaient s’y frotter. À présent, je suis cernée par une zone agricole. Adieu les bêtes et les prés doux, le concert des animaux et des oiseaux, adieu les visites furtives des chevreuils et des lièvres à mon chêne. Maïs ou blé, selon les années, monstres agricoles en toute saison. Ainsi entouré, et donc gorgé de pesticides et de désherbant, mon chêne survivra-t-il longtemps ?

Le Cotentin était une…

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Auteur: Reporterre