La force de fuir : Michael K de J.M. Coetzee

Alain Parrau revient ici sur le livre de J.M. Coetzee, Michael K, sa vie son temps, pour lequel son auteur a reçu le Prix Nobel en 2003. En insistant sur le motif de la fuite et le personnage de Michael K, il livre dans ce texte passionnant une analyse de certains aspects du pouvoir (les camps, la nourriture, la lumière, etc.) et de la manière de s’y soustraire.

« Puis il enleva ses chaussures, les pendit à son cou, marcha sur la pointe des pieds jusqu’à la clôture, derrière les latrines, lança le baluchon de l’autre côté, et grimpa. À un moment, à cheval sur la clôture, son pantalon accroché au barbelé, il dessina une belle cible devant le ciel d’argent bleuté ; mais il se libéra et fila ».

Dessiner une cible, puis se libérer et s’enfuir : toute la vie du personnage central du roman de J.M. Coetzee est marquée par la tension entre immobilité et mouvement, enfermement et évasion. Traversé de forces contradictoires, celles du pouvoir et de la résistance au pouvoir, Michael K suit des routes, des chemins à l’intérieur d’un territoire, parcoure des espaces et des temps singuliers. Ces trajets sont aussi ceux du « Je », une série d’épreuves et d’obstacles à surmonter, à travers lesquels le personnage s’efforce de découvrir qui il est, ce qu’il veut vraiment, comment vivre. Ces déplacements ont lieu dans une atmosphère lourde de menaces, celle d’une guerre civile, d’émeutes urbaines, de foules de « centaines de milliers d’individus trottinant comme des cafards, affolés par la guerre », d’interventions brutales de la police et de l’armée, d’arrestations et d’emprisonnement. L’Afrique du Sud des années quatre-vingt, la violence de l’apartheid, la répression menée par cet Etat forment le fond politique et historique du roman. Mais les mots « ennemis », « guerre », « déserteur », « insurgé », « extermination », « camp », « couvre-feu », ne renvoient dans ce texte à aucune conjoncture précise : ce sont les noms des forces qui enveloppent Michael K, le menacent ou parfois l’attirent, les signes et emblèmes des personnes et des institutions qui vont surgir devant lui au cours de son errance, pour tenter de l’interrompre ou lui imposer telle ou telle direction. Michael K refuse d’être partie prenante dans cette guerre, c’est un « simple d’esprit », « une âme qui a eu la grâce de n’être effleurée ni par les doctrines ni par l’histoire ». Cette extériorité obstinée de Michael K à l’antagonisme…

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Auteur: lundimatin