La livraison rapide, ou comment le capitalisme a fait de nous des bourreaux capricieux

On est mardi, j’ai commandé ces chaussures hier, mais je piaffe déjà d’impatience. Il faut dire que depuis que j’ai effectué mon achat, je reçois mails sur mails pour m’informer de la possibilité de suivre le parcours de mon colis. A l’autre bout de l’Europe, mes chaussures m’appartiennent déjà. Je peux suivre son parcours au sein d’un entrepôt de la banlieue de Varsovie, d’un espace de stockage à l’autre… Et si les noms de rues ne m’évoquent rien, je suis satisfait que l’on m’en informe. Le lendemain, mon paquet est déjà en France : Valenciennes, c’est à perpet’, je me décourage. Je n’ai pourtant pas un besoin urgent de ces chaussures. Je ne suis pas une entreprise, je n’ai pas d’impératif de production à tenir. Mais la promesse de livraison rapide du site sur lequel je les ai achetées m’a mis l’eau à la bouche, et « sans verser un centime de plus ! ».

Et je ne suis pas le seul : autour de moi, chez mes proches et amis, chacun attend ses colis avec fébrilité, et un délai d’une semaine provoque généralement l’indignation. « Dix jours de délai, mon cadeau n’arrivera jamais à temps pour l’anniversaire de Cécile ! » ; « Ils disent « jours ouvrés », ça comprend les jours fériés ? » ; « Mon colis est coincé à la douane ! ». On imagine alors un douanier moustachu, non loin d’un mirador, dont le chien vient renifler « nos » chaussures, livres, DVD, petit-jean-qui-va-bien-mais-qu’on-renverra-car-trop-petit, robot-mixeur ou, pire, sex toy. La magie de la livraison rapide est rompue. 

Pour deux paires de pompes achetées, 10 travailleurs épuisés

Lorsque la livraison reprend son cours, jusqu’à son dénouement final, ce n’est que l’arrivée du livreur qui ramène un peu de concret dans le grand délire « dématérialisé » dans lequel nous plonge tous la vente en ligne. De la porte arrière d’un utilitaire Renault Master, Fiat Ducato, Mercedes Sprinter, Peugeot Boxer (chaque marque produit un modèle quasi identique) sort un chauffeur suant, visiblement exténué et n’ayant qu’une hâte : obtenir notre signature sur sa tablette numérique, et se barrer. Pas le temps pour un café, caresser le chien ou même échanger trois mots sur la météo, on n’est plus dans les années 80 : le gars doit poursuivre sa tournée, esclave de son GPS, de sa tablette. J’en croise des dizaines sur la route, dans la campagne autour de chez moi, en Charente-Maritime, et ils empruntent à fond la caisse les mêmes petites routes que…

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Auteur: Rédaction Frustration Mag