La musique a-t-elle une couleur ?

Paul Klee. — « Abstractes Terzett » (Trio abstrait), 1923.

J’éprouve une irritation croissante chaque fois que je lis ou que j’entends les termes « musique noire », « musique blanche », « musique afro-américaine » ou « musique européenne ». (…) Implicitement, nous sommes tous supposés savoir à quoi ils se réfèrent, et être en mesure d’identifier ce qu’il y a de noir ou d’africain dans la « musique noire » ou « afro-américaine », tout comme de ce qu’il y a de blanc et d’européen dans la musique dite « blanche » ou « européenne ». C’est là que je deviens sceptique.

L’une des raisons de mon agacement, il me faut le reconnaître, provient du fait que j’ai moi-même contribué à diffuser ces termes. Comme d’autres intellectuels blancs de classe moyenne intéressés par des formes musicales différentes de celles qui étaient enseignées dans les conservatoires, j’ai réagi contre les diktats esthétiques de la culture musicale élitiste bourgeoise et européenne, qui canonisent certaines musiques aux dépens des autres. Nous sommes nombreux à avoir défendu des productions culturelles injustement négligées. Nous avons par exemple souligné l’intérêt de la musique de groupes ethniques et sociaux exclus par la tradition musicale classique européenne. Certains d’entre nous ont étudié la musique du prolétariat européen, alors que d’autres étudiaient la musique des peuples africains, le blues ou encore les musiques créées par des femmes. (…)

Au cours de ce processus, nous avons été amenés à tracer des frontières musicales et culturelles qui, d’un point de vue tactique, s’avéraient nécessaires, mais qui confortaient in fine les démarcations issues de la tradition que nous entendions critiquer. Étudier la musique folklorique,populaire ou noire « de l’autre côté de la clôture » ne voulait pas dire que nous nous étions débarrassés du vrai problème : l’existence même de cette « clôture » élitiste, colonialiste ou raciste. Peut-être n’existait-il pas d’autre stratégie à l’époque que de désigner la musique sur…

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Auteur: Philip Tagg