La natation comme expérience poétique

Thomas Eakins. — « The Swimming Hole and The Swimmers » (Le bassin et les nageurs), 1885.

Entre Lazare et Pauline, les personnages de La Joie de Vivre d’Emile Zola, il y avait cette complicité de la nage en mer. La mer c’était la Manche, pour eux, nager restait associé à l’érotisme de l’eau. « Elle en aimait l’haleine âpre, le flot glacé et chaste, elle s’abandonnait à elle, heureuse d’en sentir le ruissellement immense contre sa chair… » La littérature et la nage sont liées depuis que les poètes crawlent dans les vagues. Non pas flottants mais actifs dans son immensité. Nager en mer est une expérience solitaire qui ne laisse pas indemne. L’homme n’y est rien, la mer est tout.

Durant des siècles, personne en Angleterre ne nageait en mer. On flottait, on coulait les autres, plutôt bien, et c’est tout. C’est qu’avec l’avènement du christianisme, l’Europe avait perdu le contact avec la mer. « Seuls ceux qui étaient en mesure de surmonter le superstitions populaires étaient libres d’entrer dans l’eau. » En effet, l’Église peuple la mer de monstres pour combattre l’érotisme de l’eau. Pourtant c’est en latin qu’est publié le premier traité de natation par l’érudit élisabéthain Everard Digby.

Lire aussi Evelyne Pieiller, « Byron, Shelley et l’insurrection sociale », Le Monde diplomatique, juillet 2011.

Les poètes ne manqueront pas l’appel des sirènes romantiques. Byron nageait, dit-on, avec les hommes qui l’attiraient à travers le Pirée. (Pouchkine de son côté plongeait dans l’eau glacée chaque matin. Poutine qui n’est pas poète, continue.) Le poète anglais cherchait notamment à calmer sa tension nerveuse… Tous les endroits où il a nagé sont devenus quasi sacrés. Son exploit vénitien : trois heures quarante cinq entre le Lido jusqu’à Venise, pour remonter toute la longueur du grand canal. C’est tout de même plus distingué pour visiter la capitale des Doges que d’être trimballé en gondoles. Ce poisson anglais raconte encore : « Je viens de sortir d’une heure de nage dans l’Adriatique et je vous écris devant une jeune vénitienne aux yeux noirs qui me lit Boccace ». D’autres s’y risquent aussi, et se mettent en danger. Edward John Trelawny, aventurier des mers du Sud, corsaire, et ami des romantiques avait tenté d’apprendre à nager à Percy Bysshe Shelley, qui mourra noyé après que son embarcation a chaviré. En 1833, le corsaire effectue sa nage la plus mémorable en…

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Auteur: Christophe Goby