La nuit du 10

La nuit tombe sur le Stade Olympique de Rome ce 8 juillet 1990 et la pleine lune, un peu rousse, éclaire la peau brune de Diego Armando comme autrefois pendant les nuits d’enfance où les cabecitas negras des bidonvilles de Buenos Aires jouaient au ballon sans se voir, enchaînant d’instinct les passes dans le noir et frappant au but, sans voir, et quand le jour se levait tout leur semblait facile, ils pouvaient fermer les yeux et se trouvaient sans se chercher, des extraterrestres, des martiens, télépathes, personne ne pouvait les battre.

La nuit tombe, tout devient clair.

La lune aussi le regarde et c’est un film qui continue. Il dira un jour je suis un acteur et je ne connais pas mon rôle, mon rôle n’est pas écrit. La caméra lui colle à la peau comme le ballon. « J’ai deux rêves…. » Diego Armando Maradona est le héros d’un Truman Show mondial qui commence quand il a 11 ans, avec cette apparition télévisée de chérubin à la peluche afro, villero de mierda, negro de mierda, tuez-le !, qui jongle avec le ballon comme on multiplierait les pains. La caméra est déjà là, froide comme une boule de cristal pour projeter ses deux rêves d’enfant dans le futur. Le visage filmé en gros plan, le gamin en or balance déjà la tête de droite à gauche en parlant, le cou oscillant suivant ce même mouvement de sincérité qu’il gardera toujours intact, même quand il ne parlera plus de football mais de la cocaïne, de Castro ou de Bush, ou encore lors de son jubilé à la Bombonera en 2001 où il confessera ses fautes au public de Boca Juniors venu l’acclamer et où, oscillant la tête, il dira que malgré ses fautes le ballon n’a pas été souillé, ne peut pas être souillé, malgré la coco le ballon reste immaculé.

Dès cet instant de son enfance, la caméra a enfoncé ses crocs dans ses cuisses et ne l’a plus lâché. À chacun de ses mouvements la mâchoire de la caméra serrait un peu plus fort et Maradona saignait un peu plus, souffrait un peu plus. La caméra a tout pris. Sur un brancard, sur la table d’opération, en ambulance, le péroné brisé, le cœur en arythmie ventriculaire, le cœur qui ne vit plus qu’à 38 % de ses capacités, sur le tarmac, sous psychotropes, Maradona aura toujours les chiens à ses trousses. Il connaît les chiens. Toujours prêts à déchirer leur idole de leurs crocs comme les chiens d’Actéon parce qu’il a vu la déesse nue et qu’il lui a volé un instant de sa grâce.

Les dieux sont…

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Auteur: lundimatin