« La Petite Sirène » : d’Andersen à Disney, la véritable histoire derrière le conte

La nouvelle adaptation en prises de vues réelles de La Petite Sirène a suscité des réactions négatives surprenantes. La bande-annonce du film, qui sortira en 2023, a fait l’objet de millions de « dislikes » sur YouTube du fait, apparemment, que la sirène était interprétée par Halle Bailey, une actrice noire.

Le dessin animé de Walt Disney, sorti en 1989, dont s’inspire le nouveau film, mettait en scène une sirène rousse prénommée Ariel, et un crabe chanteur à l’accent jamaïcain. La grande majorité des critiques récentes soutiennent qu’un personnage de sirène noire ne respecterait pas l’intention du conte de fées original.

La Petite Sirène en film : première bande-annonce (Disney).

Or les contes de fées ont toujours été réadaptés au gré des époques. Le film de Disney en 1989 était déjà radicalement différent de l’œuvre de Hans Christian Andersen, un écrivain un peu en marge de la société, bisexuel, et incapable d’exprimer ses désirs. Loin d’être la romance chère aux fans de Disney, sa Petite Sirène est en fait le récit d’un amour torturé et non partagé, écrit au moment où l’homme dont il était épris se mariait.

Cendrillon, de l’Asie à l’Europe

L’indignation suscitée par les contes de fées qui jouent avec les codes ethniques et culturels est injustifiée. La plupart des cultures regorgent de variantes de contes populaires, que l’on retrouve dans tous les pays du monde. La façon dont on les raconte a évolué, elle aussi. Initialement transmis de façon orale, ils ont fait l’objet de versions littéraires, dès le XVIIe siècle, cinématographiques ou télévisuelles et de jeux, à partir du XXe siècle.

C’est précisément grâce à ces adaptations constantes à de nouveaux publics et standards culturels que les contes de fées ont perduré.

Ainsi, la première version connue de Cendrillon, Yeh-Hsien est chinoise. Elle a été publiée vers 850, alors que celle de Charles Perrault, dont se sont inspirées la plupart des adaptations que l’on connaît aujourd’hui, date de 1697. Et ce n’est pas sa marraine mais des arêtes de poisson qui vont exaucer les vœux de Yeh-Hsien. Si les contes de fées ne devaient « appartenir » qu’à la première culture dont ils sont issus, la logique voudrait que Cendrillon soit chinoise.

La souffrance de la Petite Sirène

Les adaptations animées de Walt Disney, à commencer par Blanche-Neige, en 1937, ont fini par constituer le prisme culturel à travers lequel nous appréhendons les contes de fées. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’avons plus conscience des diverses origines et traditions qui les entourent. Et ces films, destinés à un public familial, sont une version aseptisée de contes souvent bien plus effroyables et dérangeants.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Contrairement aux films de Walt Disney, La Petite Sirène d’Andersen est l’histoire tragique d’une souffrance et d’un sacrifice extrême. P.L. Travers, l’autrice de Mary Poppins, a écrit qu’elle n’aimait pas la lente agonie de la sirène et trouvait les « tortures déguisées en piété » d’Andersen « démoralisantes ».

Ivan Bilibin/Wikimedia

Les contes d’Andersen sont essentiellement peuplés de personnages petits et délicats qui éveillent notre sympathie, que leur fragilité soit due à la pauvreté et au manque de soins, comme la « Petite Fille aux allumettes » ou à leur difficulté à se déplacer, telle « La Petite Poucette » qu’il faut transporter d’un endroit à un autre. La Petite Sirène, elle, a l’impression qu’on lui enfonce des lames dans les pieds à chaque pas.

La Petite Sirène est également un excellent exemple de l’accent mis par Andersen sur le sacrifice et la souffrance des femmes. Elle se fait couper la langue par la sorcière de la mer, qui la réduit ainsi au silence. Elle n’en conserve pas moins sa délicate féminité, et une « démarche légère et gracieuse » sur des jambes durement gagnées au prix d’une douleur aiguë.

La sirène sauve le prince à deux reprises. Elle risque tout d’abord sa vie pour lui…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Michelle Smith, Senior Lecturer in Literary Studies, Monash University