« La peur de l'inactif, c'est la peur de l'incontrôlé »

Céline Marty est enseignante-chercheuse en philosophie, spécialiste de l’œuvre d’André Gorz. Son premier livre, paru en octobre 2021 chez Dunod, s’intitule Travailler moins pour vivre mieux.


Reporterre — Le productivisme commence-t-il avec les temps modernes, comme Charlot nous les montre dans son film de 1936 ?

Céline Marty — Non. En tant qu’idéologie consistant à valoriser l’augmentation de la production, le productivisme existe bien avant les engrenages asservissants que Charlie Chaplin moque dans Les Temps modernes. Dès le XIVe siècle, racontent Les Rythmes du labeur, une enquête sur le temps de travail en Europe occidentale du XIVe au XIXe siècle, il y a une forme de productivisme dans les petites unités de production, par exemple dans les ateliers à domicile comme ceux du textile. En raison de la concurrence, il est courant que les ouvriers travaillent le dimanche ou des jours de fête.

Ce qui est nouveau avec le machinisme, au XIXe siècle, c’est qu’il dépossède l’ouvrier des moyens de production. Auparavant, malgré la pression des contremaîtres sur les délais, l’ouvrier a le pouvoir d’actionner ses outils de travail. Désormais, il doit s’adapter à une machine qui ne s’arrête jamais, et que le train du progrès et la concurrence libérale entre nations survalorisent. Un phénomène qui va s’accentuer au début du XXe siècle avec le travail à la chaîne, puis la société capitaliste consumériste, qui développe de multiples artifices pour renouveler en permanence les actes d’achat : propagande publicitaire, obsolescence programmée, etc.



Derrière cette valorisation de la production, il y a aussi, selon vous, la volonté de faire du travail un outil de contrôle social.

C’est une thèse peu connue, sur laquelle j’insiste. Derrière l’impératif économique, il y a depuis longtemps un discours moral de la part des autorités, ecclésiastiques et politiques, pour imposer l’idée que les pauvres doivent gagner leur salut en travaillant beaucoup. Car le temps libre, pour eux, ce serait forcément du temps de débauche, d’ivresse, etc. En 1547, en Angleterre par exemple, une ordonnance royale force les vagabonds au travail, en les qualifiant de « membres inutiles de la communauté et plutôt [personnes] ennemies de la chose publique », pour ne pas donner le mauvais exemple.

Pixabay/CC/ArtsyBee

Pourquoi cette peur de l’inactif ?

La peur de l’inactif, c’est la peur de l’incontrôlé. Il s’agit pour les pouvoirs de réfréner toute pensée ou occupation…

La suite est à lire sur: reporterre.net
Auteur: Catherine Marin Reporterre