En matière d’image, les outils et les pratiques numériques se mettent au service de l’économie néo-libérale et changent notre quotidien, si l’on en croit André Rouillé, historien de la photographie. Une bonne part de sa réflexion tourne autour de ceux qu’il nomme infra-amateurs, ces utilisateurs de smartphone dénués de tout bagage technique, devenus accros à la capture et à l’échange d’images. Mais la vision d’André Rouillé est floutée par un biais encombrant : il considère les infra-amateurs comme de complets incultes enrôlés par les GAFAM dans une aventure inédite.
Dans La Photo numérique, une force néo-libérale (L’Echappée, 2020), André Rouillé recense et analyse les changements survenus dans la photographie dont les pratiquants, les sujets et les objets sont pleinement entrés dans un monde fluide et horizontal, un monde où le recueil et l’archivage des informations par les GAFAM se fait massif, avec la complicité gracieuse de milliards de consommateurs qui ne placent guère l’intimité parmi leurs trésors inviolables.
Dans le monde de la photo-numérique, la gratuité des supports est le fruit d’une exploitation volontaire des consommateurs et de leur vie privée, transformée en production ludique. L’image, autrefois objet, est devenue un flux et prend une place prépondérante dans l’application des valeurs du néo-libéralisme. Parmi celles-ci, l’ubiquité, le partage et l’abolition de la vie privée. Pour y réfléchir, André Rouillé convoque Michel Foucault à de nombreuses reprises, notamment pour développer l’idée que les réseaux sociaux peuvent s’entendre comme un « panoptique numérique ».
Si le lien organique entre la photo-numérique et l’application contemporaine du néo-libéralisme apparaît clairement dans le texte de Rouillé, il postule aussi un tournant esthétique depuis l’apparition des outils et supports numériques. Ainsi Rouillé voit-il dans le selfie, Snapchat et Instagram des pratiques en rupture totale avec celles des âges précédents qui avaient Platon et la mimèsis pour héritage. Mais la réalité semble éloignée de cette vision des choses. En fait, les GAFAM et les start-up exploitent des habitudes et un désir d’image ancrés depuis longtemps dans le grand public.
La photo-numérique maturait bien avant l’iPhone
La faiblesse du texte d’André Rouillé autour de la photo vernaculaire tient sans doute dans le fait d’invoquer Un Art moyen de Bourdieu[1] sans jamais le confronter aux usages de la fin du XXe siècle. On cherchera en vain chez Rouillé…
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Auteur: Pierre Bonnay