La réforme de l’assurance-chômage pourrait creuser les inégalités et accélérer la polarisation de l’emploi

Très attendu, les mécanismes de la réforme de l’assurance-chômage ont été présentés aux partenaires sociaux lundi 21 novembre par Olivier Dussopt, ministre du Travail, après son adoption par le parlement quelques jours plus tôt.

C’est un projet contracyclique qui a été exposé, avec pour idée principale de corréler la durée d’indemnisation des chômeurs avec le cycle économique. Ainsi, en période de croissance économique la durée d’indemnisation sera-t-elle plus courte qu’en période de récession en partant du principe que cela demande moins de temps pour retrouver du travail quand l’économie se porte bien.

En prenant cette mesure, le gouvernement poursuit deux objectifs : assurer l’équilibre financier du système d’assurance-chômage et favoriser la baisse du chômage structurel (pour lequel la conjoncture économique n’est pas en cause). Depuis 2009, en effet, le système d’indemnisation chômage est déficitaire avec une prévision de retour à l’équilibre pour fin 2022.

Quant au chômage structurel, il est mesuré entre 7 et 8 % des actifs en France, proche de la moyenne de la zone euro, tandis qu’il est aux alentours de 5 % dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette réforme part du présupposé qu’une durée d’indemnisation trop longue serait désincitatif au retour à l’emploi. En économie, il s’agit de ce que l’on appelle un aléa moral : les individus bénéficiant de l’indemnisation feraient un calcul coût-avantage et verraient un avantage à bénéficier de l’allocation chômage sans travailler plutôt que de chercher ou d’accepter un emploi. Autrement dit, cela ne vaudrait pas le coup de travailler vu le trop faible revenu supplémentaire que l’on peut espérer. Par cette réforme, le ministre du Travail table sur 100 000 à 150 000 retours à l’emploi dans un contexte de pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs.

Des études économiques, notamment l’ouvrage Améliorer l’assurance-chômage publié en 2014 par les économistes Stéphane Carcillo et Pierre Cahuc (Presses de Sciences Po), montrent d’ailleurs que les demandeurs d’emploi intensifient leurs recherches d’emploi en fin de période d’indemnisation. Quand on compare, en outre, le taux de remplacement, qui rapporte l’indemnisation chômage au salaire net du dernier emploi de l’assuré, nous constatons également que le système français est très généreux par rapport aux autres pays de l’OCDE.

Inefficace face aux problèmes d’appariement

Cependant, cette réforme ne prend pas en compte deux problèmes : le premier concerne les spécificités territoriales. En effet, si l’on compare les taux de croissance annuels moyens du PIB par habitant entre 2000 et 2018 de la région Île-de-France et de la région Grand-Est, on constate qu’ils sont respectivement de 1,04 % et 0,19 % selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les différentes dynamiques économiques entraînent donc des difficultés différentes en matière de retour à l’emploi. Pourtant, la réforme doit s’appliquer partout de la même manière.

Mais il n’y a pas que les régions que cette réforme semble confondre. À englober tous les chômeurs dans une même catégorie, mélangeant les parcours, les qualifications et les types d’emploi, le texte ne tient pas compte d’un second problème : ce que les économistes appellent le chômage d’appariement.

On désigne par là une situation où l’on observe un taux de chômage important alors qu’il y a beaucoup d’emplois vacants. Ce décalage s’explique par une inadéquation entre les qualifications des demandeurs d’emploi et les emplois proposés par les employeurs. De ce fait, en période de croissance économique et face à un chômage d’appariement, un individu en recherche d’emploi ne bénéficierait pas du temps nécessaire pour trouver un poste en adéquation avec ces qualifications ou se former. Or, toucher une allocation, c’est pouvoir prendre le temps de se former, surtout pour les plus précaires qui ont besoin d’acquérir de nouvelles compétences pour répondre au besoin du marché du travail et qui n’ont pas pu mettre de l’argent de côté auparavant.

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Auteur: Bernard Laurent, Professeur, EM Lyon