« La sobriété et le rationnement sont de puissants outils de justice sociale »

Mathilde Szuba est maîtresse de conférences en science politique à Sciences Po Lille et travaille notamment sur les questions de rationnement.

Reporterre – La Première ministre Élisabeth Borne a déclaré qu’il ne fallait pas exclure des rationnements sur l’énergie cet hiver. À quand remonte le dernier rationnement en France ?

Mathilde Szuba — Aux années 1940, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, avec des carnets de tickets permettant de répartir entre les personnes des quantités limitées de nourriture et d’énergie. C’est la définition rigoureuse du rationnement : l’organisation par les autorités de la distribution et de la répartition de produits en pénurie, afin d’en garantir une part minimale à chacun. Dans le langage courant, ce terme a parfois pu être utilisé dans un sens plus large : « rationner » les crédits de l’hôpital public, par exemple. Mais ce n’est pas la même chose qu’une politique organisée qui vise à protéger les consommateurs pendant une pénurie. Le rationnement, c’est la répartition des efforts, dans un objectif de justice et de solidarité. Cela n’a rien à voir avec la demande faite aux entreprises d’utiliser moins de gaz cet hiver. Ce n’est pas du tout la même logique de protection des plus fragiles.

Quel est le lien avec la sobriété ?

Pendant longtemps, la sobriété a essentiellement été discutée dans les milieux écologistes ou parmi les spécialistes de l’énergie. Le gouvernement et les grandes institutions préféraient largement mettre l’accent sur les renouvelables ou l’efficacité énergétique, au lieu de se risquer à avancer sur le terrain délicat et conflictuel d’une sobriété impliquant la révision à la baisse des besoins et la réduction du confort énergétique. Les choses ont beaucoup changé durant l’année écoulée, avec le rapport du Giec qui parle de « suffisance », les quatre scénarios de neutralité carbone de l’Ademe qui intègrent pour la première fois un scénario de sobriété (intitulé « Génération frugale »), et le discours d’Emmanuel Macron sur l’énergie en février dernier.

Ce discours a mis l’accent sur la sobriété, mais en détournant son sens original, pour aller vers des petits gestes. Ce terme fort, qui pendant longtemps a été un étendard de radicalité, est ici une simple réduction des gaspillages, prétendument compatible avec la croissance. En science politique, on appelle cela un conflit de cadrage : lorsque dans l’espace public, des acteurs s’emparent d’un…

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Auteur: Laury-Anne Cholez Reporterre