L’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale : une mémoire douloureuse parfois méconnue

Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, en novembre 1942, les nazis occupaient la Tunisie. Pendant les six mois qui suivirent, les Juifs et les musulmans tunisiens furent soumis au règne de terreur du Troisième Reich, ainsi qu’à sa législation antisémite et raciste. Les habitants vivaient dans la peur – « sous la botte des nazis », comme l’a écrit l’avocat juif tunisien Paul Ghez dans son Journal pendant l’occupation.

Nous sommes respectivement historienne et anthropologue. Ensemble, nous avons passé une décennie à rassembler les voix de diverses personnes qui ont enduré la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, par-delà leur confession, leur classe sociale, leur langue et leur région d’origine. Leurs lettres, leurs journaux intimes, leurs Mémoires, leurs poèmes et leur histoire orale expriment à la fois l’espoir et la détresse. Ils se percevaient comme étant piégés par la machine déchaînée du nazisme, de l’occupation, de la violence et du racisme.

Quand la plupart des Européens pensent au cauchemar de la guerre ou de l’Holocauste, ils pensent avant tout aux événements survenus sur le continent européen. Mais l’Afrique du Nord n’a pas été épargnée par ce déferlement de haine et de violence.

L’Afrique du Nord aux mains des régimes d’Hitler, de Mussolini et de Pétain

Une famille juive à Tanger, au Maroc, en 1885. Cliquer pour zoomer.
LL/Roger Viollet via Getty Images

L’histoire des Juifs installés en Afrique du Nord commence dès le VIe siècle avant J.-C., après la destruction du premier temple de Jérusalem. Une autre vague importante d’immigrants a suivi l’Inquisition espagnole. Au début de la Seconde Guerre mondiale, une population juive nord-africaine variée d’environ 500 000 personnes coexistait avec les voisins musulmans.

Ces Juifs d’Afrique du Nord parlaient de nombreuses langues, reflétant leurs différentes cultures et appartenances : l’arabe, le français, le tamazight – langue berbère – et le haketia, une forme de judéo-espagnol parlé dans le nord du Maroc. Alors qu’un grand nombre de Juifs d’Afrique du Nord, en particulier en Algérie, bénéficiaient des privilèges de la citoyenneté française et d’autres nationalités occidentales, la majorité restait soumise aux autorités locales.

Un groupe de jeunes filles juives à Debdou, au Maroc, vers 1915.
D. Millet E/Wikimedia

Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs détenteurs de la citoyenneté française en ont été déchus. Trois puissances européennes ont gouverné tout ou partie de l’Afrique du Nord pendant la guerre, toutes trois avec une immense brutalité : la France de Vichy, l’Italie mussolinienne et l’Allemagne nazie.

Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie furent pendant la majeure partie du conflit dominés par la France de Vichy. Toutes les lois et politiques antisémites et racistes que le régime de Vichy a imposées à la France métropolitaine ont été étendues aux colonies françaises d’Afrique du Nord et de l’Ouest, expulsant les Juifs de leurs emplois, les privant de la citoyenneté – s’ils la possédaient – et saisissant les propriétés, les entreprises et les actifs appartenant à des Juifs.

Le régime de Vichy a également poursuivi les politiques racistes initiées par la IIIᵉ République, en imposant le service militaire aux jeunes Noirs des colonies, et en les exposant aux avant-postes les plus dangereux en temps de guerre : après l’occupation allemande de la France, de nombreux tirailleurs sont emprisonnés par les nazis. Beaucoup ont été libérés et remis aux autorités de Vichy qui les ont utilisés pour contrôler la population indigène dans les colonies nord-africaines et les camps d’Afrique du Nord. Ces recrues forcées venaient du Sénégal, de Guinée française, de Côte d’Ivoire, du Niger et de Mauritanie, des territoires français du Bénin, de la Gambie et du Burkina Faso d’aujourd’hui. Il y avait également parmi eux des musulmans du Maroc et d’Algérie.

Ainsi, en ces temps de guerre, les Français menèrent une campagne anti-musulmane et anti-noire, associant des formes de haine raciale de l’ère coloniale à l’antisémitisme. Celui-ci avait des racines profondes dans l’histoire…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Sarah Abrevaya Stein, Professor of History, University of California, Los Angeles