L'anarchéologie de Jean Vioulac

Ut Talpa : Vous déclinez avec élégance ma proposition d’être filmé et enregistré sur Lundisoir – ce qui est parfaitement compréhensible – et préférez un entretien écrit. Vous dites, plus précisément, « répugner à exister [sur Internet] sous la forme d’un avatar spectral ». Mallarmé écrit quelque part : « et cette foule hagarde, elle annonce : Nous sommes / La triste opacité de nos spectres futurs ». Ce jugement qui définit pour la foule une condition spectrale, vous l’attribuez, vous, contrairement à Mallarmé, non pas à une condition éternelle mais à un processus historique bien précis. Dans votre livre, justement, vous « catégorisez », c’est-à-dire, en grec ancien, vous « accusez » le dispositif du « Marché cybernétique spectaculaire » d’avoir pu « avec une rapidité confondante, instaurer le cyberespace d’un univers spectaculaire ubiquitaire et instantané, luminescent et captivant, qui s’est superposé à l’espace terrestre d’un monde devenu désert de bitume fuyant droit en déroute, simple infrastructure de béton et de goudron atomisé et pollué, comme une sorte d’égout souterrain où s’écoulent les débris du réel » (16-17). Vous nommez ce dispositif une « vidéosphère théorico-spectaculaire » (17). Deux questions : la première concerne l’écriture ; et la seconde, la nature de la vidéosphère. Première question : en 1922, Kafka écrit à Milena qu’« écrire des lettres, cela signifie se dénuder devant les fantômes, ce qu’ils attendent avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, mais les fantômes les boivent sur le chemin jusqu’à la dernière goutte. Grâce à cette riche nourriture ils se multiplient incroyablement ». Autrement dit, avec Kafka, les correspondances épistolaires ne font jamais que croître et multiplier les fantômes. Elles n’ont lieu, elles aussi, qu’entre avatars et spectres. Quelle différence faite-vous alors entre la spectralité cybernétique et la spectralité épistolaire ? Certains genres de fantômes sont-ils préférables ? Peut-on écrire sans spectres ? Deuxième question : vous faites remonter la « vidéosphère » à la philosophie grecque et, plus particulièrement à la theoria – la contemplation – et au logos – la raison, le discours – comment établissez-vous un tel lien, qui peut surprendre, entre une philosophie qui a deux mille ans et notre situation technologique contemporaine ?Jean Vioulac : Je dois d’abord avouer une méfiance paranoïde pour…

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Auteur: lundimatin