Langage et politique

A l’occasion de la parution de deux ouvrages, Provincialiser la langue. Langage et colonialisme de Cécile Canut (Amsterdam), et Le ministère des contes publics de Sandra Lucbert (Verdier), Ivan Segré propose quelques réflexions sur les rapports complexes qu’entretiennent les questions de linguistique avec la pensée politique.

On considère d’ordinaire Ferdinand de Saussure comme le père de la linguistique, discipline qu’il a fondée en affirmant que « la langue est un système qui ne connaît que son ordre propre », et en concluant que « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ». Mais comme l’observe Louis-Jean Calvet en introduction d’un livre consacré à la sociolinguistique, « les langues n’existent pas sans les gens qui les parlent, et l’histoire d’une langue est l’histoire de ses locuteurs », d’où il conclut que la linguistique saussurienne, matrice du structuralisme en sciences humaines, « s’est donc construit sur le refus de prendre en compte ce qu’il y a de social dans la langue ».

On pourrait dès lors définir la sociologuistique comme une approche du langage du biais des déterminations sociales. Le problème est que cela suggèrerait aussitôt qu’elle ne représente qu’un champ restreint de la linguistique. Or, c’est ce que conteste l’un des fondateurs de la discipline, William Labov, dans un ouvrage paru en 1966 et précisément intitulé « Sociologuistique » : « Pour nous, notre objet d’étude est la structure et l’évolution du langage au sein du contexte social formé par la communauté linguistique. […] S’il n’était pas nécessaire de marquer le contraste entre ce travail et l’étude du langage hors de tout contexte social, je dirais volontiers qu’il s’agit là tout simplement de linguistique ». Plutôt qu’un biais, ou une approche du langage, la sociologuistique est donc une prise de position théorique et, en outre, polémique, en ce sens qu’elle reproche à la linguistique saussurienne de concevoir l’étude du langage abstraction faite de son ancrage dans un contexte social qui, pourtant, pourrait seul rendre raison des principaux phénomènes linguistiques.

C’est dès les fondations de la linguistique moderne, au début du XXe siècle, qu’Antoine Meillet, tirant notamment les leçons de Durkheim, aurait posé les bases de la sociolinguistique : « Du fait que la langue est un fait social il résulte que la linguistique est une science sociale, et le seul élément…

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Auteur: lundimatin