Les touristes qui visitent Marseille pour la première fois se divisent en deux grandes catégories : ceux qui se plaignent du manque de propreté des rues et ceux qui s’en félicitent parce que ça authentifie leur expérience d’une ville populaire. Dans cet article, Lucrezia Giordano propose une nouvelle hypothèse : et si la place laissée aux ordures dans la cité phocéenne était une forme de résistance à la gentrification ?
Je n’oublierai jamais le printemps 2023. Pas parce que c’était ma première fois à Marseille, ni pour la mer, ni pour un nouvel amour. Ce printemps-là, les manifestations contre la réforme des retraites qui ont touché toute la France ont été accompagnées d’une grève des éboueurs, provoquant un amoncellement d’ordures pendant des semaines, mêlé aux restes de poubelles calcinées. Dans ce contexte, dès que l’on sort d’un petit bar du Cours Julien un samedi soir, on remarque immédiatement cet amas informe de sacs poubelles qui nous surplombe, atteignant le haut du mur de la cour voisine.
Et alors que nous regardons les poubelles, il arrive. Il est certainement dans une brume alcoolique plutôt épaisse. Il décide que le tas d’ordures est la toilette publique parfaite, malgré le fait qu’il se trouve littéralement au milieu de la rue. Une fois qu’il a terminé, quelque chose s’allume en lui. Il commence à escalader le tas d’ordures jusqu’à ce qu’il atteigne le sommet du mur, où il se lève. Encore une fraction de seconde et avant que l’on s’en rende compte, il saute, criant de joie et atterrissant sur le dos dans les sacs d’ordures au contenu indéfini — ces mêmes sacs sur lesquels il vient de pisser.
Il est là, les bras ouverts, et il rit. L’ange des poubelles de Marseille.
Les déchets comme symbole. Processus identitaires et altérisation
Les déchets (et, plus généralement, des stéréotypes à connotation traditionnellement négative) jouent un rôle important…
Auteur: dev