C’était l’idée de départ. D’un ton neutre et précis, j’y aurais décrit un printemps improbable, oscillant entre la stupeur et l’indifférence. J’y aurais décrit les champs mornes d’avril et l’épaisse fonte du ciel, empesé par l’absence des clairons. Un cauchemar subtil, à l’image de ce présent qui se tend.
Cette nouvelle, je n’ai plus la force de l’écrire. Aucun récit, de toute façon, ne saurait se substituer à la froide chronique du réel. Aucune vision, aussi porteuse soit-elle, ne saurait traduire cette molle sidération qui nous trouble et nous enserre. C’est une possibilité, pourtant, que nous avions redoutée. L’alliance du grand capital et de la réaction est un phénomène logique et sa victoire ne saurait en rien nous étonner. Quelque chose, pourtant, nous pèse au ventre. C’est une chose intime, politiquement abstraite.
Que faire lorsque le futur se dissout sous nos pieds et qu’il faut néanmoins reprendre la marche forcée des jours ? C’est une tension cruelle, inhérente à l’état d’un monde qui semble désormais irréparable. De là le silence des oies. De là l’impossibilité de tout printemps.
Par quel bout rendre compte des heures ? Par la fumée des incendies ou bien celle des défilés ? Devrais-je d’emblée donner quelques gages d’intellect et invoquer cet ange de l’histoire cher à Walter Benjamin, et dont l’aspect est aussi décevant que ce qu’il entendait incarner ? Bien maladroitement, j’expliquerais comment son suicide se reproduit à chaque instant, depuis toujours. Puis, en soulevant la poussière des concepts, je me perdrais à démontrer en quoi nous sommes nous-mêmes coincées dans cette même impasse frontalière, au seuil d’une guerre incertaine.
À peine le texte se couche que je m’interroge sur le choix du « je ». Comme toujours, le doute me prend. Comme toujours, je me mets à me détester. Il est peut-être temps encore de tout reprendre. Ce qui devrait être rédigé, ce n’est pas l’autopsie d’un…
Auteur: dev