Le bac est mort

Nous avions évoqué ces dernières semaines la mobilisation de 40 professeurs de philosophie de l’académie Aix-Marseille
contre la numérisation des copies et la logique managériale qui vise à privatiser l’éducation. Nous avions aussi publié ce « vrai-faux corrigé du bac ». Cette semaine, l’un des professeurs mobilisés nous amène au cœur des jurys de délibération.

5 juillet 2021. Lycée Marseilleveyre. Le jour des jurys de délibération du bac.

Il est tôt. Deux ou trois chansons m’ont tiré du lit. La belle de mai, la corniche, le bleu intense de la mer… J’attache mon vélo aux grilles à l’entrée du lycée et traverse le parc, une pinède greffée de grands potagers dotés d’un tentaculaire système d’arrosage automatique et de quelques blocs opératoires de béton qui font pitié au massif des Calanques. 
Les cigales chantent déjà. J’entre dans l’affreux bâtiment, portes closes, parcours fléché, couloirs déserts, et m’installe en salle 209. Ma chaise de travers, je bois café sur café et me plâtre de galettes industrielles Saint-Michel.
Jury numéro 134778. L’ambiance folle d’un désastre obscur. Huit collègues silencieux, peut-être résignés ou simplement dépressifs, sait-on jamais. Pas assez nombreux en tout cas pour être en colère.
Inutile de faire les présentations. Nous sommes venus les mains vides. Les copies nous ont été arrachées des mains. Elles ont été numérisées ou sont passées par les pertes et profits du contrôle continu et autres péréquations opaques par lesquelles les notes du contrôle continu ont été trafiquées à la hausse ou à la baisse. 
Je suis le seul qui aurais dû corriger en cette fin d’année. L’épreuve reine de la philosophie a été maintenue. Mais j’ai refusé d’ouvrir le logiciel Santorin. J’ai pris quelque liberté avec la technocratie qui vend l’école aux entreprises et à l’intelligence artificielle.
Le rectorat a-t-il retenu la moyenne de l’année ou a-t-il fait corriger les copies qui m’avaient été attribuées par d’autres collègues ? Je n’en saurai rien. 
Santorin, distributeur de copies, briseur de grève. Nous sommes devenus des travailleurs interchangeables. Nous n’aurons bientôt plus aucune maîtrise de nos conditions de travail. 
Je suis venu pour rien, juste histoire de reprendre le travail. Il faut savoir terminer une grève.
Un collègue a posé un drone sur sa table. Un autre se révélera amateur de jeux de mots. 
J’hésite à me lever. J’ouvre la discussion en…

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Auteur: lundimatin