Le blues des naturalistes en bureau d'études

On leur demande de minimiser les conséquences environnementales d’un projet immobilier. D’omettre — « dans le doute » — une espèce protégée d’un inventaire. De sélectionner les mesures compensatoires les plus faibles. Au sein des bureaux d’études environnementaux, les experts naturalistes subissent des pressions parfois subtiles, parfois directes. Leur métier : fournir l’étude d’impact nécessaire à bien des projets fonciers. Pour cela, ils répertorient la faune et la flore du site du futur chantier et analysent à quel point ce dernier menace la survie de ces espèces. Or, si leur travail déplaît au maître d’ouvrage, il peut être tenté de faire pression sur le bureau d’études. Ornithologue de 2017 à 2019, Léo se souvient : « Il peut demander si on est sûr des impacts, si on n’a pas exagéré nos estimations et tenter de les revoir à la baisse. »

Chaque agence dispose d’experts qui vont mener des inventaires sur le terrain selon leur spécialité : botaniste, ornithologue, chiroptérologue… Chacun rédige un diagnostic environnemental sur les conséquences des aménagements et de l’artificialisation des sols sur le terrain choisi. En fonction de cette analyse, les naturalistes proposent des mesures pour atténuer la dette écologique, fondées sur la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC). Les chargés d’étude rendent ce rapport à un chef de projet, en lien direct avec le client.

Si les bureaux sont censés rendre une expertise indépendante, ils doivent néanmoins satisfaire une commande. « Il y a un équilibre à avoir pour ne pas perdre ses projets. Stratégiquement, le bureau d’étude veut faire plaisir au client pour le garder », soupire Matéo. Lui qui fut ornithologue en bureau d’étude de 2014 à 2019 dans le Languedoc-Roussillon est aujourd’hui naturaliste indépendant. Les promoteurs redoutent particulièrement les espèces dites « parapluies », rares ou fragiles, et donc capables de faire capoter leurs projets. Chargée d’études faune dans les Hauts-de-France, Aria a « entendu [s]on responsable inviter un collègue à, “dans le doute”, ne pas faire apparaître une espèce protégée dans un rapport et ne pas retourner vérifier sa présence sur le terrain. »

Patrice Valantin, président de l’Union professionnelle du génie écologique (UPGE), lui-même à la tête d’un bureau d’études, le reconnaît sans fard : « Le marché est bancal car le maître d’ouvrage mandate des prestataires — les bureaux d’études — qui lui…

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Auteur: Moran Kerinec Reporterre