« Les activistes bloquaient plusieurs entrepôts et l’acheminement des anxiolytiques vers l’enclos était interrompu ce qui, en l’état actuel des événements et du niveau de stress, était absolument inadmissible, il s’agissait de santé publique et de retour au calme ; le sevrage, simultané chez des millions de personnes, faisait courir un risque majeur d’intensification de l’état insurrectionnel. »
Le brouillard est étrangement calme. J’ai pour habitude de ne pas m’éterniser et de le traverser tête baissée. Je suis pourtant assise sur la palette que j’étais venue récupérer pour le brasero. Mes doigts sont crispés par le froid, j’ai un peu de mal à me rouler une clope. Trois mouettes traversent le ciel bleu et disparaissent derrière les barrières anti-émeutes. Il y a peu de mouvement de leur côté, le gros des troupes est rentré à la caserne, c’est surtout la nuit que les corps s’échauffent. Pour contempler le brouillard il ne faut pas être plus de deux ou trois sinon il se densifie. Leur cougar doit être sur pied et orienté pour envoyer les lacrymos au même endroit, le bitume de la zone d’atterrissage est bruni, écaillé par les tirs répétés. Une radio grésille, je sens que je suis observée, ils vont me laisser tranquille, ils n’ont pas envie de recevoir une pluie de pavés en échange, ce n’est pas bon de commencer la journée comme ça. Je reçois un message de Joshua, le café est prêt. J’ai mal aux lombaires, la nuit n’a pourtant pas été très intense, elles le sont de moins en moins. Désormais on se fait deux trois échanges de civilités histoire de vérifier qu’on n’est pas là pour rien et puis on se lasse, on reconstitue les tas de projectiles au cas où, si jamais, et puis on va faire autre chose, un truc plus utile au collectif. Le brouillard est cette zone incertaine d’une dizaine de mètres de large entre eux et nous, l’endroit des lacrymos, des fumigènes, des larmes et du feu. Si je regarde d’un côté, c’est un alignement presque parfait, le mur militaire méticuleusement érigé, l’obsession bureaucratique joyeusement repeinte par les talents des copains. De l’autre côté je peux contempler notre barricade erratique, amas de mobilier urbain, panneaux de signalisation pointés vers n’importe où, voitures calcinées, les enseignes de toutes les banques et assurances du quartier, parfois des ébauches de constructions en bois, en résumé, un monticule à géométrie instable, un gosse qui n’aurait pas rangé sa chambre, un tas….
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Auteur: lundimatin