“Le concept de transfuge est un concept blanc” : entretien croisé Joseph Andras / Kaoutar Harchi Épisode I

Joseph Andras et Kaoutar Harchi ont ceci de commun qu’ils font de la littérature un instrument politique, chacun à leur manière. Ils font perdurer une certaine idée de la gauche, celle qui porte l’inquiétude de son propre échec, celle qui essaye de ne pas plier sous le sentiment de l’inutilité, celle qui tire son engagement des réalités matérielles et non des abstractions théoriques. Les deux écrivains, qui ont fait connaissance via leur éditeur commun, Actes Sud, souhaitaient écrire ensemble un article, voire un livre, sur la littérature et l’engagement politique. Ils ont choisi Frustration Magazine pour amorcer cette réflexion, sous la forme d’un dialogue. Ils nous parlent ainsi des classes sociales, du racisme, du communisme, et au milieu de tout cela, du rôle de l’écriture et de l’espoir porté par les Gilets Jaunes. Aujourd’hui, nous publions la première partie de cet échange ; elle est consacrée à la notion de transfuge, qui nie les rapports sociaux de race. Nous mettrons en ligne chaque semaine la suite de cet entretien en cinq parties.

Joseph Andras : La critique littéraire te rattache volontiers à la figure de la « transfuge ». Tu es issue du prolétariat – ton père a été agent d’entretien et ta mère a travaillé dans une maison de retraite – et tu t’es retrouvée à la Sorbonne. Mais tu récuses cette notion, non ?

Kaoutar Harchi : Oui, totalement. D’ailleurs, il y a peu, j’ai été contactée par une journaliste de France TV à propos d’un « documentaire sur les transfuges ». En échangeant avec elle, je me suis hâtée de préciser que je réfutais ce concept. C’était une manière d’échanger à partir d’une base juste. Notre conversation a aussitôt été interrompue : je n’ai jamais été rappelée. Pour mériter ce rappel, il aurait fallu, peut-être, que mes dires correspondent à l’horizon d’attente que suppose le concept de « transfuge », a fortiori en situation d’appropriation médiatique. Il aurait fallu que moi, autrice du récit autobiographique Comme nous existons, je me raconte et raconte les miens et notre monde d’une certaine façon. Une façon qui laisserait entendre que je n’étais rien et qu’un jour je suis devenue tout. Et, de là, que je travaille à enjoindre les gens, les « gens de peu », à me rejoindre et à devenir, à leur tour, quelque chose. Eh bien disons-le : non. Et c’est ce qui m’encourage à ne pas user du concept de transfuge : aussitôt est-il apparu qu’il a révélé à quel point il était un concept blanc.

Joseph…

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Auteur: Rédaction Frustration Mag