Le corps outragé

Le 15 avril 1945, lorsque les soldats britanniques entrent dans le camp de Bergen-Belsen, ils découvrent un spectacle effroyable : « Le camp était dans un état indescriptible, aucun rapport, aucune photo ne peuvent donner une idée de l’horreur qui s’offrait à nos yeux. À l’intérieur des baraquements il y avait des cadavres entassés sur différentes hauteurs. Des tas de cadavres se trouvaient de l’autre côté des barbelés, d’autres à l’intérieur, entre les baraquements. Le camp était jonché de corps humains en décomposition. Les fossés des canalisations étaient remplis de cadavres et dans les baraques elles-mêmes les morts étaient restés là, parfois enchevêtrés avec les vivants dans le même lit ». Un mois auparavant, Hanna Lévy-Hass avait noté dans son Journal  : « Et cette demi-existence qui me reste, je la passe en compagnie d’autres fantômes, vivants ou morts. Les cadavres, les vrais, sont toujours ici, avec nous, dans nos lits. Il n’y a personne pour les enlever d’ici. Et pas de place où les mettre. Tout est encombré. Dans les cours aussi, on entasse des corps, des monceaux de cadavres. Ils se dressent chaque jour plus haut. Le crématoire n’arrive pas à les brûler tous ».

Depuis le mois de décembre 1944 de nombreux convois de déportés en provenance d’autres camps, évacués devant l’avance des armées alliées, sont arrivés à Bergen-Belsen. En février 1945 on compte 22 000 détenus, 60 000 en avril. La surpopulation, les conditions d’hygiène effroyables provoquent une épidémie de typhus et une mortalité très importante : de janvier à avril 1945, 35 000 détenus meurent – et 10 000 encore, après la libération du camp. Les images de cette libération (photographies et films) ont provoqué un choc en Europe occidentale. Elles sont restées jusqu’à aujourd’hui le symbole de l’horreur des camps, de la barbarie nazie, et surgissent à l’esprit de tout lecteur du Journal de Bergen-Belsen d’Hanna Lévy-Hass, dès qu’il prend connaissance du titre. Mais le mélange de fascination et d’effroi qu’elles suscitent ne favorise pas une compréhension juste de la réalité concentrationnaire. L’image capture le regard et immobilise le sujet dans une position de simple spectateur. Or la vision terrible des cadavres amoncelés de Bergen-Belsen ne frappe pas seulement le spectateur de mutisme : elle masque l’existence, dans le camp, d’une société à part entière, marquée par des divisions implacables. Elle témoigne aussi de ce moment où,…

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Auteur: lundimatin