Basta ! : L’historien Jean Tulard affirmait sur RMC, le 5 mai, que « personne ne conteste à l’époque » le rétablissement de l’esclavage par Napoléon. Personne… Sauf, pour commencer, les personnes subissant elles-mêmes l’esclavage, et y résistant. Cette invisibilisation est-elle au cœur de ce que vous qualifiez « d’eurocentrisme » du récit historique français ?
Joao Gabriel : L’eurocentrisme des récits historiques possède différentes facettes. Certaines sont immédiatement détectables, comme dans les propos de Jean Tulard : il s’agit par exemple de légitimer des personnages historiques responsables de massacres. Chercher à absoudre ces figures en brandissant le contexte dans lequel elles évoluaient est une position qui n’a rien de neutre. Elle renseigne sur les fictions nationalistes qui n’épargnent pas le monde de la recherche.
Que nous disent au fond les historiens comme Jean Tulard ? « Laissez-nous célébrer en paix une certaine idée de la grandeur de la France ». Au prix de la dignité des Afro-descendants… D’autres formes d’eurocentrisme sont plus subtiles. Il s’agit par exemple de nier aux populations subalternes le rôle d’agent de l’histoire. C’est-à-dire de considérer les Européens comme moteurs uniques ou principaux des mouvements de l’histoire. Cette vision, critiquée depuis longtemps, continue d’être un enjeu de réflexion pour de nombreux chercheurs, comme Silyane Larcher. Découvrir, tardivement, les travaux de l’historien guadeloupéen Oruno D. Lara a aussi été l’occasion pour moi de penser l’histoire hors de ces logiques de « centre ».
Vous qualifiez la Révolution haïtienne d’événement « refoulé » dans le récit historique français. En quel sens ?
La chercheuse Noémi Michel parle de « politiques d’omission de la Révolution haïtienne », et c’est particulièrement vrai dans le contexte français. Je n’ai jamais autant entendu parler de cette révolution que depuis que je suis dans le milieu universitaire états-unien… En Guadeloupe, pour les garants de l’ordre français, Haïti joue le rôle de figure repoussoir. De même, dans les discours courants sur la situation d’Haïti, on parle peu des entraves économiques et politiques établies par la France, avec la « dette » imposée suite à l’indépendance ; puis par les États-Unis avec l’occupation, et ainsi de suite.
Certes, il faut distinguer ce qui se fait dans la recherche à propos de cette histoire, et comment elle circule hors du monde…
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Auteur: Maïa Courtois