LE FLÉAU DU BIEN — Bruno GUIGUE

Dans le discours que les États-Unis tiennent sur eux-mêmes depuis leur fondation, une chose est incontestable : c’est une nation exceptionnelle. Bush ou Obama, Trump ou Biden, rien n’y fait. Enfoui dans l’inconscient collectif, ce postulat identitaire traverse l’histoire. Comme un témoin qu’on se passe furtivement d’un président à l’autre, il demeure intact, immaculé comme les Tables de la Loi. Car il est bel et bien de l’ordre de la structure, non de la conjoncture. La singularité des États-Unis, c’est qu’ils se croient dépositaires à vie d’un imperium planétaire. C’est qu’ils se projettent au-delà des mers, au nom d’une vocation civilisatrice qui révèle surtout la haute idée qu’ils se font d’eux-mêmes.

Rien n’est moins laïque, et plus hostile à la laïcité bien comprise, que l’idéologie étasunienne. La nation d’exception drape son appétit de puissance dans les plis de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme, en effet, comme si ces entités abstraites figuraient des divinités qu’elle avait pour mission de servir en pourfendant les méchants. Puisqu’elle est l’incarnation du Bien, le monde n’est-il pas à sa disposition, objet passif de ses élans salvateurs ? Dispensatrice d’une justice immanente taillée à sa mesure, la nation au « destin manifeste » ne fixe aucune limite à son aura bienfaisante, car elle y voit la conséquence légitime de sa supériorité morale. Sa proximité avec le Bien sanctifiant sa puissance terrestre, elle pourchasse sans répit les forces maléfiques et les immole en expiation de leurs crimes.

Durant la campagne, Joseph Biden a promis qu’il en finirait avec les « dictateurs comme Castro et Poutine ». Revendiquant son élection, il déclare que « les États-Unis sont prêts à diriger le monde ». Dès qu’un politicien s’installe à la Maison-Blanche, c’est plus fort que lui : il faut qu’il se mette à régenter les affaires du monde, qu’il se coule dans le moule de la vocation planétaire de la nation providentielle. Washington vient d’accuser Pékin de vouloir « dominer le monde », mais il faut être frappé…

Auteur: Bruno GUIGUE Le grand soir
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