Le football iranien, la Coupe du monde et la révolte

Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi pesant que l’Iran cette année.

Le football est très populaire en Iran, où il a supplanté la lutte, qui fut longtemps le sport national. Son organisation est fortement tributaire de l’idéologie politique dominante. On a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines : la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde organisée au Qatar s’est déroulée dans un contexte marqué par le soulèvement en cours dans le pays, et le comportement des joueurs était scruté par les observateurs du monde entier.

Si certains d’entre eux ont cherché à exprimer leur soutien à leurs compatriotes révoltés contre le régime, ils ont rapidement été contraints de mettre leurs critiques en sourdine. Retour sur la place du football dans la République islamique, et sur les enseignements d’une compétition qui, pour les Iraniens, n’aura pas été comme les autres.

Une passion nationale surveillée de près par le régime

Pendant les années qui suivirent la révolution islamique de 1979, ponctuées par la longue guerre contre l’Irak (1980-1988), la crispation et le rejet de l’ordre international dominèrent la scène politique et sportive.

À partir des années 1995, une ouverture se profile. L’équipe nationale d’Iran se qualifie pour la Coupe du monde en 1998 (ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1978), puis pour celles de 2006, 2014, 2018 et 2022. Malgré cette reprise des compétitions internationales, le pouvoir islamique continue d’exercer son influence sur le football : les stades, où se déroulent des compétitions d’hommes, sont interdits aux femmes (cette interdiction a duré 43 ans et ce n’est qu’en août 2022 qu’elle a été suspendue) ; la pratique féminine du football fait l’objet de controverses et ce n’est qu’en 2005 qu’est créée une équipe nationale féminine dont les membres ne peuvent cependant jouer qu’entièrement couvertes, y compris dans la chaleur de l’été.



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Autres signes de cette inféodation au pouvoir politique : les stades où peuvent s’exprimer des revendications autonomistes (par exemple à Tabriz, dans la province d’Azerbaïdjan) sont étroitement surveillés ; et après la performance décevante de l’équipe nationale de football au Mondial de 2006 en Allemagne, le président de la fédération est démis de ses fonctions par le gouvernement. Cette mesure, symbolisant l’inféodation du sport au pouvoir politique, suscita les protestations de la FIFA qui suspendit temporairement la fédération iranienne de football en novembre 2006, jusqu’à ce qu’une solution conforme aux statuts de la fédération internationale fût trouvée (ce qui fut le cas en décembre 2006).

Par ailleurs, des joueurs recrutés par des clubs étrangers et ayant accepté de disputer un match contre une équipe israélienne ont été sanctionnés par le gouvernement ; d’autres ont été rappelés à l’ordre en raison de leur tenue : vêtements trop près du corps, coiffure en queue de cheval

Le football est donc un sujet éminemment politique, y compris pour les joueurs, a fortiori s’ils évoluent ou ont évolué à l’étranger et connu un autre régime politique. Ainsi, en juin 2009, pendant le match qualificatif contre la Corée du Sud, plusieurs joueurs, dont Ali Karimi – « le Maradona de l’Asie », qui avait joué au Bayern Munich – portèrent un bracelet vert en signe de protestation contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejâd et de soutien au « mouvement vert » – une grande vague de contestation déclenchée après le scrutin. À leur retour en Iran, ces joueurs furent exclus à vie de leurs clubs par les autorités iraniennes mais réintégrés après une intervention de la FIFA. Ces exclusions-réintégrations rythment la vie footballistique en Iran, et la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde au Qatar, en pleine révolte contre le régime de Téhéran, a évidemment été un événement particulièrement chargé de sens de ce point de vue.

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Auteur: Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)