Le jour de la mort de jean-luc godard

Le jour de la mort de Jean-Luc Godard je me suis mise à penser trop vite.

Les pensées arrivent très vite pour attraper le bord, l’absent, pour demander encore une fois – et peut-être par fidélité à ce phénomène extraordinaire qu’est la pensée d’un être, son âme, et le chemin qu’elle prend quand cet être s’en va.

Que devient la pensée de quelqu’un qui meurt.

Où passe-t-elle en moi.

J’essaie de ralentir, de décomposer. Séparer pour extraire un moment les pensées les unes des autres, et aussi les pensées des images qui naissent en même temps de la ville autour, de la démarche des corps et des gens – et puis des images de la guerre actuelle et inactuelle, de centrales nucléaires, des révoltes des femmes en Iran – tout cela composant une image immédiate de l’histoire, nouée à la silhouette d’un couple assis dans un café dont le silence est à peine interrompu par le bruit insistant d’un klaxon.

La vitesse et le mélange des situations, l’attraction que la pensée exerce sur le réel, c’est dans ce rythme que je me déplace, les films arrivant comme par surcroît d’un monde que je perçois à travers son prisme, dans sa langue – c’est-à-dire en accordant aux êtres et aux choses encore un peu le crédit du langage, de ce rapport.

Oui, les êtres humains ont encore un rapport avec le langage même si ça n’est pas facile, même s’il est de plus en plus mince ou plat, je ne sais pas comment dire, ça va trop vite, mais j’attrape cette première idée qui n’est pas encore bien formée et qui consiste dans le fait de considérer que nous sommes toujours déjà perdus dans le langage, que rien n’est donné, que c’est tragique mais que c’est aussi la chance qu’il y ait plusieurs sens, qu’on puisse entendre plusieurs choses dans un mot, que quelqu’un d’autre se mette à parler, qu’on soit toujours plusieurs, la chance qu’il y ait des malentendus et que ces malentendus soient la condition du pouvoir et de la révolte en même temps.

Je marche en regardant autour de moi et je me pose la question du moment, de l’époque ou de la période, de la possibilité même de la datation des choses.

Je voudrais savoir quand on est.

A quelle période. Ou mieux, à quelle époque. Si c’est possible.

La dernière fois je crois que Jean-Luc Godard a répondu à cette question, c’était lorsqu’il a dit, sur une vidéo Skype pendant la pandémie en 2020, que le virus était la communication ; et plus tard, lorsqu’il a renvoyé plusieurs journalistes à leurs propres…

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Auteur: lundimatin