Le langage comme champ de bataille féministe

Dans Tenir sa langue. Le langage, lieu de luttes féministes (Ed. Les Pérégrines, 2022), Julie Abbou traite des questions de domination et de genre qui traversent les débats autour de la langue. Après des années de rhétorique réactionnaire contre l’écriture inclusive mais également de récupération libérale de cette même écriture, cet essai traite de la langue comme d’un champ de bataille où fait la rage la lutte contre les dominations. En tant qu’activité de catégorisation du monde social, le langage contribue à dire le réel et à orienter le regard qu’on porte sur lui. Une approche féministe du langage questionne la façon dont des identités politiques sont liées à des identités linguistiques, et permet d’interroger les fondements politiques du nationalisme linguistique.

L’attelage genre-langue-nation

Pour comprendre plus précisément le sens social des pratiques féministes du langage, il faut donc démêler les différents enjeux idéologiques qui s’y croisent. Le contexte idéologique permet de comprendre comment, au-delà d’une volonté marketing, la controverse de l’écriture inclusive a pu « prendre », et ce qu’elle signifie politiquement.

L’étude des idéologies linguistiques a largement montré de quelles façons identités politiques, identités linguistiques et parfois identités nationalistes se superposent sans cesse[1]. Cette association entre langue et nation est particulièrement vivace en France, où traîne encore l’idée douteuse que le français serait une langue complexe permettant d’exprimer des pensées complexes (le linguiste Oswald Ducrot a bien montré comment les mêmes discours circulaient en Allemagne à propos de l’allemand, sans plus de fondement). Les empires et les anciens empires mobilisent beaucoup la langue comme argument nationaliste, et en France nous sommes imprégné·es du discours selon lequel la langue a été vecteur de l’unité nationale au moment de la Révolution française, et d’autres récits du même type qui contribuent à associer l’idée de la langue française à celle de la nation française. Ainsi, parler français, ce serait être français, et être français impliquerait de parler français. Le déboulonnage scientifique de cet a priori n’est pas difficile : il suffit de penser à la variété linguistique présente sur le territoire français ou à la francophonie, qui dépasse largement les frontières nationales ; il suffit de sortir de zones qui entretiennent l’homogénéité linguistique pour rencontrer des gens qui…

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Auteur: redaction