Le lycée professionnel, une voie de formation en danger ?

Le lycée professionnel (LP) attire rarement l’attention des médias. Il agite peu le débat public. C’est assez paradoxal, et ce pour au moins deux raisons. D’abord, parce qu’il scolarise et forme chaque année près de 650 000 élèves, filles et garçons, très largement issus des milieux populaires, aux trajectoires scolaires souvent heurtées et pour qui le LP est rarement un « choix ». En conséquence, il fait face à des défis scolaires de taille, il doit réussir à réconcilier l’élève avec l’école.

Ce désintérêt surprend aussi dans la mesure où le LP fait l’objet de réformes de fond régulières portées avec beaucoup de vigueur et de détermination par le pouvoir politique. Si ces transformations sont rarement discutées, elles ont pourtant des effets bien réels sur les devenirs scolaires et sociaux des élèves, sur leur famille, sur les quotidiens professionnels des personnels scolaires, enseignantes et enseignants, conseillères principales et conseillers principaux d’éducation, cheffes et chefs d’établissement, mais de tout ceci il est rarement question.

En 2018, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer, engage un mouvement de transformation structurelle de la voie professionnelle. Pour le justifier, l’argument est toujours le même. Le LP manque un de ses objectifs : l’insertion professionnelle des jeunes qu’il forme. Le constat est sans appel et il suffit à expliquer la désaffection du lycée professionnel par les jeunes et leur famille.

Pour lutter contre la disqualification tout à la fois sociale et symbolique du lycée professionnel, des dispositifs pédagogiques sont mis en œuvre tels la réalisation d’un chef-d’œuvre ou la co-intervention des enseignants et enseignantes, les formations sont réorganisées en familles de métiers. Toutes ces mesures sont présentées comme permettant de mieux mettre en évidence les compétences professionnelles travaillées par les élèves en formation et les liens entre formation scolaire et monde professionnel.

En 2022, les mesures suggérées par le gouvernement poursuivent celles de 2018, certainement avec plus de vigueur encore. En effet, la valorisation du lycée professionnel se fera par la densification de la dimension professionnelle de la formation. Le LP passe ainsi sous double tutelle du ministère du Travail et de l’Éducation nationale. Le gouvernement envisage d’augmenter la durée des stages en milieu professionnel de 50 %, de densifier les liens avec l’apprentissage, nous y reviendrons.

Tournant des années 1970

Pour le grand public et pour les usagers du LP lui-même, les idées ainsi affichées peuvent apparaître tout à fait séduisantes, voire parfaitement légitimes. Mais, elles n’ont en réalité rien de très novateur. Elles ont surtout, dans les faits, la particularité d’éluder le fond du problème. La disqualification sociale et symbolique dont le lycée professionnel souffre aujourd’hui, et contre lequel le gouvernement se propose d’agir, est en fait le produit de l’histoire de ce segment du système éducatif.

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Rappelons que le lycée professionnel a d’abord connu une période faste. La préparation aux premiers niveaux de qualification et plus particulièrement les CAP vont constituer une véritable chance par les enfants des classes populaires qui, par ce biais, pourront accéder aux diplômes, au travail qualifié, plus justement rémunéré et permettant une promotion sociale.

L’enseignement professionnel perd sa capacité de promotion de la classe ouvrière et son prestige à partir des années 1970, sous l’effet conjoint de la dégradation des conditions économiques et de la politique d’unification du système éducatif. L’enseignement professionnel se voit ainsi intégré, non plus à l’enseignement primaire comme c’était le cas avec les collèges d’enseignement technique (CET), mais à l’enseignement secondaire par le biais des lycées d’enseignement professionnel (LEP).

Nouvelle mobilisation contre la réforme des lycées professionnels (France 3 Bourgogne, 2022).

L’offre des formations du lycée va alors se diversifier ce qui…

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Auteur: Séverine Depoilly, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Poitiers