Le Monstre frappe à la porte

La pandémie de coronavirus, loin d’être un événement isolé, s’inscrit dans une série qui a toutes les chances de se poursuivre. D’un côté, l’élevage industriel, la déforestation massive et l’industrie du fast-food créent les conditions idéales pour la transmission inter-espèces de nouveaux virus. De l’autre côté, les systèmes de santé font les frais de plusieurs décennies de coupes budgétaires. Les éditions Divergences viennent de publier Le monstre est parmi nous – Pandémies et autres fléaux du capitalisme ouvrage dans lequel Mike Davis replace la pandémie de Covid-19 dans le contexte des catastrophes virales antérieures, notamment de la grippe espagnole et de la grippe aviaire H5N1. L’ethnologue et historien retrace les manquements des gouvernements, expose les effets de la restructuration néolibérale sur les risques épidémiques, et montre comment l’appât du gain freine la recherche et la prévention. Nous en publions ici un extrait : Le monstre frappe à la porte.

Le mal qui est entré ici le mois dernier, c’était un signe.
Le chef du village de Ban srisomboon.

Quand se produisent des fléaux comme la pandémie de grippe qui a emporté le petit frère de ma mère, avec 40 à 100 millions de personnes en 1918, il est difficile de se faire une image claire de la souffrance individuelle. Les grandes épidémies, comme les guerres mondiales et les famines, massifient la mort, qui devient un événement à l’échelle de l’espèce, défiant notre entendement et nos émotions. Les affligés meurent, en conséquence, deux fois : l’agonie physique se redouble du naufrage de la personnalité dans les eaux troubles de la grande tragédie. Comme le dit camus, « puisqu’un homme mort n’a de poids que si on l’a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination. » Personne ne pleure une foule ou ne se lamente sur la tombe d’une abstraction. Contrairement à d’autres animaux sociaux, nous n’avons aucun instinct de deuil ou de solidarité biologique qui s’éveillerait automatiquement devant la destruction de membres de notre espèce. Pire, nous trouvons au contraire un certain sublime, pervers mais souvent jouissif, dans les pestes noires, les tsunamis, les massacres, les génocides et les effondrements de gratte-ciel. Pour nous attrister d’un cataclysme, encore faut-il que nous le personnifions. La solution finale, par exemple, ne nous bouleverse pas réellement tant que nous n’avons…

La suite est à lire sur: lundi.am
Auteur: lundimatin