Le mot "guerre" et le tombeau du soldat reconnu. (Ukraine. Para Bellum Numericum épisode 8)

Cet article est la suite de ceux déjà parus :

Il continue d’explorer les enjeux et déclinaisons numériques, parfois poignantes, parfois anecdotiques, parfois vitales, du conflit en cours en Ukraine suite à l’invasion Russe._______________________________________________________________________________

C’est devenu une information presqu’anecdotique au regard du tragique qui se joue chaque jour en Ukraine, mais un pays de presque 150 millions d’habitant.e.s, au 21è siècle, n’a plus accès au langage. Ce pays, c’est la Russie.

Alors bien sûr il n’est privé que d’un seul mot, le mot « guerre ». Qui ne doit plus être écrit, prononcé ou lu. Ni dans les médias (presse, télé, radio), ni dans les plateformes sociales ayant encore cours en Russie (pour l’instant TikTok et Telegram et c’est à peu près tout).

Ce mot ne doit ni être écrit, prononcé ou lu ni même … l’avoir été. Car cette privation de l’accès au langage, au mot guerre, « jouit » d’un mortifère principe d’antériorité. Le régime russe se réserve la possibilité d’aller fouiller dans l’historique de vos messages, de vos messages publics (un post Facebook par exemple), mais aussi de vos messages privés (SMS) pour vérifier (entre autres choses) que vous n’avez pas utilisé ce mot. 

La guerre est partout. On nous montre la guerre. On nous raconte la guerre. On nous chante la guerre. On nous documente la guerre. On nous dit c’est la guerre. Mais elles et eux, près de 150 millions, ne peuvent pas dire le mot guerre. Ne pas pouvoir dire c’est ne pas pouvoir penser. Dire la guerre, faire le choix du mot guerre participe toujours d’une forme événementialisation. Refuser de le dire ou n’en prononcer que l’interdiction c’est acter que cette guerre est un non-événement.

La guerre l’opération spéciale c’est la paix.

La place du langage dans les conflits et dans les guerres est bien sûr centrale. Et pas uniquement en termes d’information ou de propagande. 

La place du langage dans les régimes autoritaires et les dictatures l’est tout autant. Il n’a pas fallu attendre l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour le savoir. Dans la France Pétainiste comme en Allemagne de l’Est et dans beaucoup de républiques soviétiques à l’époque de la guerre froide, il était déjà certaines phrases, certains mots et certaines idées qu’il était préférable d’éviter de prononcer dans l’espace public, comme d’ailleurs dans l’espace privé

L’enjeu de beaucoup de résistant.e.s, de beaucoup de dissident.e.s en temps de guerre « chaude » ou « froide » était d’abord de trouver des…

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Auteur: olivierertzscheid Olivier Ertzscheid