Le mythe de l’entrepreneur : une fiction qui légitime l’ordre social

Dans un livre paru récemment chez Zones, Anthony Galluzzo met en pièces le « mythe de l’entrepreneur », ce grand récit capitaliste qui a pour triple fonction de louer les vertus créatrices du capitalisme, de dissimuler les mécanismes de reproduction des privilèges sociaux et de rendre chaque individu responsable de ses succès et de ses échecs.

 « L’idée que Steve Jobs n’a pas bâti Apple, que Henry Ford n’a pas bâti Ford Motors, que Papa John n’a pas bâti Papa John’s Pizza, que Ray Kroc n’a pas bâti McDonald’s, que Bill Gates n’a pas bâti Microsoft… Dire quelque chose comme ça n’est pas seulement une folie, c’est insultant pour chaque entrepreneur, pour chaque innovateur en Amérique. »

Mitt Romney[1]

Nous avons entamé cet ouvrage en décrivant chacune des composantes du mythe de l’entrepreneur. Il s’agit désormais d’essayer de comprendre la vision du monde dont celui-ci est porteur. Quelle théorie politique de l’ordre social révèle-t-il en creux ? Le mythe de l’entrepreneur donne tout d’abord à concevoir une scène : le marché, cet espace  démocratique où se prouvent et s’éprouvent les individus ; cet espace d’où émerge une aristocratie naturelle, une aristocratie des talents. L’entrepreneur est celui qui, grâce à ses qualités et à sa détermination, sort victorieux de la lutte concurrentielle. Le marché est l’ultime et infaillible opérateur de justice, qui place les méritants à la hauteur de leurs prouesses ; un opérateur démocratique puisque, loin de perpétuer l’hérédité, il révèle et récompense chaque jour de nouveaux créateurs. L’histoire que l’on nous raconte est finalement toujours un conte moral : chacun est comptable de ses réussites et de ses échecs, chacun est à sa place.

L’apologie du mérite dénonce implicitement des imméritants. Dans l’ordre des choses, les « ratés », les chômeurs, les pauvres, aussi, sont self-made. Ils ne sont…

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Auteur: redaction