Le naturaliste Alexander von Humboldt, « inventeur » de l’écologie ?

À l’époque où les humains expérimentent les premières ascensions en ballon, les premières navigations à vapeur sur l’eau et où les premiers ingénieurs inventent les trains, les explorateurs européens sillonnent la planète pour remplir les terrae incognitae de la carte du monde. Entre 1780 et 1830, comment tracent-ils leurs sillons ? Par les moyens les plus rudimentaires : la navigation et la marche. La carte du monde qui se dessine dans les cabinets des topographes est celle de scientifiques qui relient les étoiles à la Terre, et usent de la triangulation pour étaler sur des feuilles leurs calculs.

Ces passionnés de la mesure, ces techniciens offrent leurs services aux pouvoirs politiques avides de connaître les richesses de leur sous-sol et de dessiner des frontières. Ces aventuriers n’ont peur de rien. À la fin du XVIIIe siècle, la rugosité du monde physique ne lève pas les doutes. Le ciel a bien été vidé de ses divinités par les Copernic, Galilée et autre Newton, mais la Terre ? Les océans ? Les montagnes ? Les forêts ? Qui peut bien expliquer par une physique raisonnée comment fonctionne cette machine très complexe qu’est la planète Terre ?

La Terre comme un organisme vivant

Celui qui veut donner le premier récit d’une Terre comme un organisme vivant, c’est Alexander von Humboldt. Contrairement à Christophe Colomb ou Isaac Newton, Humboldt n’a pas découvert de nouveaux continents, il n’a pas formulé de nouvelles lois de la physique, mais il apporte une nouvelle vision du monde. Et à ce titre, pour Juliette Grange, il est bien le père de l’écologie.

Selon sa biographe Andrea Wulf, ses idées sont devenues si courantes qu’il a disparu derrière leur évidence. Pour comprendre la grave crise écologique actuelle, nous avons besoin de Humboldt. Déjà en 1801, le savant allemand percevait combien les humains étaient capables de « ravager » la Terre. « L’équilibre général qui règne au milieu des perturbations est le résultat d’une infinité de forces mécaniques et d’attractions chimiques qui se balancent les unes par les autres ». La Terre, poursuivait-il, est « une entité naturelle mue et animée par une même impulsion ».

Oublié à la fin du XIXᵉ siècle

Alors qu’Alexander von Humboldt a été adulé de son vivant, il a été oublié à la fin du XIXe siècle. En France où il a pourtant passé plus du tiers de sa vie, il était très proche de tous les scientifiques sans appartenir au monde académique et il refusait tout poste de responsabilité. L’historien David Blankenstein pense qu’il fait partie de « ces nombreux Allemands effacés de la perspective française après la défaite de 1871 » alors qu’il est pour l’Américain Ralph Waldo Emerson « l’homme le plus connu de son époque après Napoléon ».

Il a donné son nom à un célèbre courant marin dans le Pacifique, à de multiples chaînes de montagnes en Chine, en Afrique du Sud, en Océanie, au Mexique et au Venezuela, à des dizaines de rivières, des chutes d’eau, des parcs, des geysers et des baies. On trouve son nom jusque sur la Lune avec une Mare Humboltianum. Plus d’une dizaine de villes (treize en Amérique du Nord) et des comtés lui empruntent leur nom. Un nom qu’on retrouve sur environ trois cents plantes et cent animaux, ainsi que sur des dizaines de minéraux. Alexander von Humboldt bat le record au monde des toponymes commémorant un nom, dépassant tous les présidents, les rois, les savants – y compris Léonard de Vinci et Louis Pasteur, Newton et Einstein – et les artistes.

Dans sa longue vie quasi biblique – il meurt à l’âge de quatre-vingt-dix ans –, il a passé l’essentiel de son temps à se confronter au monde physique pour connaître la Terre. Si les maîtres du monde colonial du XIXe siècle, les Anglais l’empêchent de mettre le pied en Asie du Sud et du Sud-Est où il aurait aimé explorer l’Himalaya, il parvient à réaliser deux grands voyages. Seul, il organise le premier de 1799 à 1804 avec l’appui du roi d’Espagne Charles IV, une expédition qui dure cinq années sous les tropiques de l’Amérique latine. Un autre lui est proposé par le tsar russe Nicolas Ier en Asie du Nord-Est jusqu’au pied de l’Altaï durant sept mois en 1829.

Un voyage fondateur

Le récit…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Gilles Fumey, Géographie culturelle de l’alimentation, Sorbonne Université