Le père Noël dans l’imaginaire collectif : entre profane et sacré

Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?

C’est une question à laquelle plusieurs parents trouveront certainement des réponses pertinentes dans les écrits de la psychologie pédiatrique. En adoptant toutefois la perspective de l’anthropologie culturelle, ma question est un peu différente. Je me demande pourquoi nous acceptons tous, un jour ou l’autre, de nous faire les complices de ce mystère sur la réalité du père Noël, qu’on le voit comme un personnage fictif du soft power américain ou plutôt comme une icône des fêtes chrétiennes de la Nativité.

Deux sous-questions doivent être formulées. La première concerne le besoin que nous, occidentaux, avons d’incarner l’esprit religieux de Noël sous la forme d’un vieillard costumé plutôt que de lui conserver son essence mythique originelle. Et la seconde concerne notre volonté encore plus naïve de sublimer l’image de ce personnage folklorique en feignant de ne pas remarquer ses écarts de conduite lorsqu’il s’en donne la licence morale, notamment dans les films ou les chansons pour enfants.

Dans une perspective universitaire et sur la base de mes intérêts pour la culture populaire et sa construction dans un contexte capitaliste, je me réfère principalement aux écrits du philosophe Jean-Jacques Wunenburger, éminent spécialiste de l’image et du sacré, pour aborder ce thème de l’ambivalence qui caractérise notre expérience du père Noël.

L’expérience infantile du « numineux »

Des enfants prennent des photos, assis sur les genoux du père Noël.

Ce que nous enseigne d’abord Wunenburger, c’est que le sacré dispose fondamentalement d’un statut paradoxal. C’est-à-dire qu’en tant qu’il fixe un seuil entre le naturel et le surnaturel, le sacré constitue à la fois un « interdit à ne pas transgresser » et une « invitation à enfreindre les limites », notamment celles de la matérialité du monde. Devant ce paradoxe, il est normal d’être en proie à des sentiments ambivalents : d’un côté, nous ressentons une « peur panique devant la grandeur incommensurable de l’inconnu » ; et de l’autre, une « attraction irrésistible vers quelque chose de supérieur, de merveilleux et de solennel ». C’est ce que le théologien Rudoplf Otto a appelé l’expérience du numineux.

C’est sans doute ce que ressentent nos enfants lorsque nous, parents, les asseyons sur les genoux d’un Père Noël inconnu en plein milieu d’un centre commercial. Par ce geste, nous les soumettons à ce type d’expérience en permettant que soit entretenue, en eux, une grande confusion de sentiments. D’une part, ils éprouveront une peur effroyable envers cet étranger flamboyant qui les empoigne ; et, d’autre part, ils nourriront cette espérance ardente à laquelle nous les raccrochons en leur faisant miroiter de jolis présents d’ordinaire inaccessibles.

Sacraliser notre expérience du profane

Le défilé du père Noël, à Montréal, en 2022.

Aussi, pour que l’étrange bonhomme soit plus qu’une image dans un cahier à colorier, il nous faut mettre en place des stratégies visant à en instituer le caractère sacré. Comme nous en instruit Wunenburger, il s’agit dès lors de structurer notre expérience « par le symbole, le mythe et le rite ».

Parmi les rites de Noël les plus pratiqués dans les métropoles industrielles, il y a celui qui consiste à assister, les enfants sur les épaules, à un long défilé de chars allégoriques au terme duquel l’apparition du père Noël produit généralement l’émoi escompté. D’autres rites plus intimes consistent par exemple à laisser des indices du passage du Père Noël dans nos maisons, que ce soit en disposant des biscuits grignotés, des verres de lait à moitié bus ou des cadeaux sous le sapin, le tout à l’insu des enfants endormis.

Afin de donner au père Noël son caractère sacré, les créateurs de la fête capitaliste en ont par ailleurs engendré les mythes de sorte à lui octroyer des pouvoirs magiques, des connaissances secrètes et des privilèges merveilleux.

Quant aux symboles de la sacralité…

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Auteur: Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)