Le plus bel âge

Frédérique dit « regardez ! des islamo-gauchistes ». De quoi s’agit-il de détourner le regard ? D’une université en vrac, laminée par les mesures sanitaires. Comme celles et ceux qui la peuplaient. Se souvient-on que dans les locaux universitaires vivaient des étudiants ? Olivier Long, maître de conférence à la Sorbonne, en recroise encore. Il décrit ici les corps et les esprits abimés.

« J’avais vingt ans. Je ne laisserai jamais personne dire que c’est le plus bel âge de la vie »
(Paul Nizan, Aden Arabie, Paris, éditions Maspéro, 1976, p. 53)

Au quotidien, les viols physiques et la maltraitance psychique, en augmentation respectives de 11 et 9 % depuis plusieurs années, sont des attaques massives subies par les nouvelles générations. Il faut avoir les paupières cousues pour ne pas percevoir la réalité quotidienne de ces violences quand on travaille à l’Université. Aujourd’hui la pandémie montre à nu le visage de cette nouvelle misère en milieu étudiant.

Cette semaine, c’est la dernière session de rattrapage des examens à la faculté des Arts de la Sorbonne. On m’annonce que 50 % des étudiants de première année ont définitivement quitté notre bel établissement après une deuxième année de confinement. À l’occasion de ces épreuves, nombre d’étudiantes présentes annoncent qu’elles n’ont pu assister aux examens pendant l’année parce que leur père ou leur mère étaient mortes ou qu’elles avaient eu des « soucis familiaux ».

Tous se succèdent pour présenter leur dossier artistique. Un cortège de fantômes se présente : lot de corps filiformes, de bras scarifiés, de torses voûtés, d’avant-bras aux doigts immenses qui sortent de gros pulls de laine en pleine canicule. Il y a les articulations disproportionnées qui saillent des chairs transparentes, blafardes et sans épaisseurs, les tendons qu’on peut compter comme sur un écorché d’anatomie. Dans la moiteur de juin, les regards fiévreux tentent de réchauffer des silhouettes squelettiques.

L’anorexie aurait-elle frappé autant que le Covid ? Quand il s’agit de dessiner son propre corps, certains travaux présentent des zones névralgiques. Il y a ce qu’on ne peut plus dessiner, plus toucher, plus montrer : un ventre disparait, des figures s’effacent pour se perdre, certaines parties de l’anatomie sont effacées, un regard est absent. Plusieurs représentent la figure d’un arbre mort, perdu au milieu d’une immense nuit, parfois sous une tempête de neige et annoncent : « -…

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Auteur: lundimatin