Le pouvoir des mots : « écoterrorisme » ou « résistance écologiste » ?

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié les récentes manifestations anti-bassines à Sainte-Soline en France « d’écoterrorisme », terme repris, voire assumé par d’autres figures du gouvernement depuis. Néanmoins, l’expression interroge : les dégradations de biens et les confrontations entre les activistes et les forces de l’ordre relèvent-elles bien d’« écoterrorisme » ?

Plutôt que proposer une réponse juridique à cette question, cet article vise à questionner le sens politique de la dénomination « écoterrorisme ». Les lecteurs et lectrices sont invité·e·s à faire un pas de côté et réfléchir à l’importance des mots employés en contexte, dont le pouvoir est amplifié selon la position sociale du locuteur. Il ne s’agit pas de nier la terreur à laquelle mène le terrorisme ni de se positionner sur la nature violente de l’évènement, mais d’interroger sa lecture politique à travers le procédé de dénomination. Comme le souligne le sociologue Pierre Bourdieu, le langage est porteur d’un pouvoir symbolique.

Le choix du « mot-symptôme » : l’acte politique de dénomination

Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin. Il est un « mot symptôme » d’après la terminologie de Patrick Charaudeau, c’est-à-dire « un mot qui est chargé sémantiquement par le contexte discursif dans lequel il est employé et par la situation dans laquelle il surgit ».

Les mots sont des contenants d’idées, de symboles, et d’images qui modèlent et déterminent la forme de ce que nous pensons. Nommer un phénomène n’est pas neutre, chaque mot renvoyant à une interprétation de la réalité, à un imaginaire particulier, à un point de vue situé. Autrement dit, le répertoire sémantique choisi pour désigner le phénomène en question est déjà chargé de sens, parce que bien souvent, il lui préexiste. Ainsi, les mots participent à la construction du sens apposé sur le phénomène. En tant que contenants, ils proposent une lecture spécifique de l’évènement. En France, le « terrorisme », au-delà d’une catégorie juridique, renvoie à un imaginaire bien spécifique (figure de l’ennemi intérieur qui commet des attentats). Son champ sémantique est ici élargi et mis en rapport avec l’activisme écologiste, façonnant en conséquence les représentations sociales.

Comme l’indique Pierre Bourdieu, le statut de l’énonciateur joue également un rôle déterminant : le terme « écoterrorisme » est employé par une figure d’autorité étatique, le ministre de l’Intérieur, dont le rôle est notamment l’encadrement de la violence physique légitime (forces de police entre autres). La dénomination opérée légitime l’action répressive menée à l’encontre des manifestant·e·s, en même temps qu’elle décrédibilise et invisibilise le discours écologiste.

Terrorisme ou résistance : frontière symbolique

Qu’en serait-il si l’action menée par les écologistes à Sainte-Soline avait été qualifiée de « résistance écologiste » ?

Le sociologue et philosophe Gérard Rabinovitch rappelle que les notions de « résistance » et de « terrorisme », en principe antagonistes et dont la frontière ne devrait pas être floue, appartiennent pourtant, aujourd’hui, à la même catégorie sémantique politique. Sans glisser dans un relativisme qui consisterait à envisager les deux notions de façon absolument symétrique, on peut noter que les « résistant.es » comme les « terroristes » déploient une violence politique, et que l’étiquetage dont ils font l’objet est radicalement différent selon que leurs revendications et les moyens déployés sont considérés comme justes (moraux) ou injustes (immoraux) à un moment t.

Comme l’ont souligné Annie Collovald et Brigitte Gaiti, le sens attribué à des actions et la narration dont elles font l’objet ne sont pas figés dans le temps. Ainsi, certaines actions collectives violentes peuvent être a posteriori célébrées, légitimées, voire romantisées (Révolution française, mai 68), quand d’autres sont requalifiées et délégitimées (relecture de la collaboration sous le régime de Vichy, colonialisme).

En parallèle, si on cherche à saisir le sens que les acteurs donnent à l’étiquette qui leur est apposée, on assiste à…

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Auteur: Lucile Dartois, Doctorante en cotutelle à l’Université de Lorraine (en psychologie, laboratoire Interpsy, axe GRC) et à l’Université du Québec à Montréal (département de sociologie), Université de Lorraine