Mohsen Abdelmoumen : Vous avez participé à la marche sur le Pentagone d’octobre 1967 contre la guerre du Vietnam. Que représentent pour vous ces moments historiques ?
Carolyn L. Karcher : La guerre du Vietnam et le mouvement populaire contre elle ont transformé ma conscience et changé ma vie. Bien que j’aie grandi au Japon et que je ne sois pas venue aux États-Unis avant d’entrer à l’université de Stanford en 1962, j’ai fréquenté une école américaine au Japon qui m’a donné l’endoctrinement standard. Je croyais que les États-Unis étaient un phare de la démocratie avec pour mission de transmettre ses bienfaits à d’autres pays et de les sauver de gouvernements oppressifs. La guerre du Vietnam a brisé cette croyance. La marche sur le Pentagone d’octobre 1967 a été la troisième manifestation contre la guerre à laquelle j’ai participé, mais c’est celle qui a marqué le début de ma rééducation politique. Pendant la nuit que j’ai passée au Pentagone, j’ai vu des soldats portant des masques à gaz et des baïonnettes frapper avec la crosse de leur fusil la tête des manifestants assis pacifiquement et leur donner des coups de pied avec leurs lourdes bottes, tandis que les chefs de la marche nous réitéraient leurs instructions de rester passifs et de ne pas résister. Ce qui m’a permis de surmonter cette expérience terrifiante, c’est la conviction que la presse allait informer le public américain de la façon dont les soldats américains avaient traité les citoyens exerçant leurs droits constitutionnels, et que l’incident donnerait lieu à une enquête et à une réparation. Au lieu de cela, les gros titres du Washington Post du jour suivant indiquaient que « Les troupes font preuve de retenue contre une foule violente ». Il faudra des années avant que la presse américaine ne commence enfin à…
Auteur : Carolyn L. Karcher – Le grand soir
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