Le sureau

Au fond de mon cœur c’est au sureau que je parle, ensuite, peut-être je parle aux humains qui l’ont tués.

Ces humains-là portent des noms, des états civils et ça semble les investir de quelques droits de plus que toi. Toi, tu portais la sève, les fleurs, les baies, quelque chose qui s’appelle la Beauté.
Ça ne te perds pas, ça ne te perverti pas, ça, toi, de porter de la beauté, tu n’en fais pas une arme, tu n’y penses pas.

Lupita –ma fille-, les merles, Louise et moi, et puis toustes les autres qui te connaissent, toi et que je ne te connais pas, te pleurent. Iels ne savent pas que j’ai récupéré dans la benne qui te portait en morceaux, des bouts de toi et que je les ai replanté parce que ta vie vaut.

Iels voient la souche, inerte, et c’est très laid et triste.
Iels voient le printemps amputé par toi qui manque, qui manque parce que toi tu es utile, nécessaire, vitale pour que la vie perdure, pour que la vie soit juste et pleine.
Iels, c’est nous et les pleurs de Lupita quand elle te voit coupé, c’est mes pleurs aussi, parce que je ne suis que ça depuis, je ne suis qu’un flot de pleurs depuis. Parce que j’aime l’arbre que tu étais, je l’aime. Pas seulement pour les fruits, les odeurs, les cueillettes, l’ombre, la cachette.
Je l’aime – l’arbre que tu étais-
pour le bruit des oiseaux,
pour les bourdons,
pour le soleil qui aimait se couler en toi, en chlorophylle odorante.

Je suis le pleure marchant-somnambule depuis que j’ai découvert ta coupe.
Je suis allée demander des raisons.

(Je change de registre : ce n’est plus un hommage que je dresse ici, c’est un procès suite à une agression.)

C’est le procès d’une petite ville de campagne -du sud-ouest- une petite ville qui pense encore que les arbres sont sans vie.
Moi, je suis leur bête noire, pour peu de choses, des petits clous contre des grosses tronçonneuses, quelques menues résistances au quotidien, quelques affiches, si peu…

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Auteur: dev