Nous avons tellement attendu la fin de ce monde, nous ne l’imaginions juste pas comme ça. Quand la fin approche, quand les masques tombent, quand le vacarme du non-sens recouvre la planète émergent aussi les voix de ceux qui, à ce moment précis, dans la cassure, parviennent à dire la vie.
Pourquoi des poètes en des temps de détresse ? Parce que le langage seul, et le silence qui lui fait écho, dans l’effondrement, dans n’importe quelle prison, recommence le monde. Car nous n’avons pas seulement perdu le monde, perdu les villes, les manières de vivre et les êtres, nous ne nous sommes pas seulement perdus nous-mêmes, nous avons aussi perdu la possibilité de dire ces choses. Au fur et à mesure que nos conditions de vie se dégradaient et que la beauté gratuite était remplacée par la laideur commerciale, nous avons perdu la faculté de dire notre environnement, autrement que dans une langue gelée, celle des journalistes et du pouvoir. Plus nous étions déréalisés et séparés de tout, plus les mots nous manquaient, car ils n’avaient déjà plus d’importance. Le capitalisme a imposé que seules les choses comptent. A quoi bon les nommer ?
Le fait d’arriver à la fin d’une civilisation permet de mesurer depuis combien de temps elle se meurt, dans ses arts et dans sa culture. Dans les années 90, Deleuze décrivait l’époque comme un désert de la pensée, et ce depuis la fin des années 70. Il expliquait que cela n’avait rien d’étonnant, de traverser un désert, l’histoire en était remplie, intercalée de périodes de création. On peut avancer que ce désert n’a cessé de s’étendre depuis, hormis certains îlots. On peut espérer qu’à la faveur de l’effondrement en place il arrive un moment où cela – l’intelligence, l’art, la création, la pensée critique – renaisse, qu’à la faveur de certaines conjonctures, de part et d’autre plusieurs se mettent à penser ensembles et que des lignes…
Auteur: lundimatin
La suite est à lire sur: lundi.am